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Aux Bouquins Garnis
12 août 2019

Histoire d'une vie- Aharon Appelfeld

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«Le coeur a beaucoup oublié, principalement des lieux, des dates, des noms de gens, et pourtant je ressens ces jours-là dans tout mon corps. Chaque fois qu'il pleut, qu'il fait froid ou que souffle un vent violent, je suis de nouveau dans le ghetto, dans le camp, ou dans les forêts qui m'ont abrité longtemps. La mémoire (...) a des racines dans le corps. »

L'enfance d'Aharon Appelfeld (Erwin de son vrai prénom) fut heureuse, entourée de parents aimants, juifs cultivés peu religieux, et de grands-parents qui lui enseignent le yiddish, lorsqu'il séjourne auprès d'eux à la campagne. Elle fut aussi très courte, brisée par les persécutions meutrières envers les juifs qui commencent en Roumanie à la fin des années 30. Aharon a seulement huit ans lorsque sa mère est assassinée sous ses yeux. Il connaît le ghetto, puis la déportation en Ukraine. Il est alors séparé de son père. En 1942, Aharon parvient à s'échapper. Il apprend à survivre dans la forêt, hébergé parfois par des paysans en échange de son travail. Recueilli par l'Armée Rouge, après des mois d'errance, il finit par embarquer clandestinement pour la Palestine, en 1946...

Cette existence mouvementée, marquée par la tragédie, Aharon Appelfeld en fait le récit dans "Histoire d'une vie", superbement traduit par son amie Valérie Zénatti. Les événements n'y sont pas décrits de façon linéaire mais livrés par fragments, "en lambeaux" comme le fut la vie d'Aharon, une vie déchirée de toute part, qui peine à se reconstruire. La mémoire fait bien remonter certains souvenirs à la surface mais en occulte d'autres : les souffrances endurées demeurent muettes, la mort violente de la mère d'Aharon est éludée, du camp on ne saura presque rien mais ce que l'écrivain donne à voir est absolument terrible. Après la guerre, en Palestine, Aharon ne peut s'exprimer pendant de longs mois, il peine à lire et à écrire, les mots lui échappent, l'apprentissage de l'hébreu est plus que laborieux. Ce n'est qu'au prix d'un immense travail qu'Aharon Appelfeld deviendra le grand écrivain que l'on sait. 

Ce récit m'a infiniment bouleversée. J'en retiens la fluidité, remarquable alors qu'il n'est pas chronologique, j'en retiens l'immense pudeur, l'émotion qui sourd tout au long des pages, j'en retiens le profond message d'espoir que nous livre Aharon Appelfeld, qui aime à se remomérer les âmes pures qu'il a pu croiser sur sa route, alors que tout n'est que ruine :

"Dans le ghetto et les camps, j'avais vu des gens dans tout leur égoisme, leur bassesse, mais aussi dans leur générosité. Ces instants rares ne faisaient pas qu'élever une lumière dans l'obscurité, ils ancraient en vous la foi en l'idée que l'homme n'est pas un insecte."

Je retiens aussi, et cela m'a beaucoup touchée, l'amour d'Aharon Appelfeld pour les animaux, la chaleur et la tendresse qu'il a su trouver auprès d'eux, quand il n'était qu'un petit enfant seul et perdu, maltraité par les humains. Je retiens l'homme de paix, l'écrivain magnifique qu'il est devenu et dont je n'ai heureusement pas fini de découvrir la grande oeuvre.

"Durant la guerre on ne débat pas, on n’insiste pas sur les divergences. La guerre est une serre pour l’attention et le mutisme. La faim, la soif, la peur de la mort rendent les mots superflus. A vrai dire, ils sont totalement inutiles. Dans le ghetto et dans le camp, seuls les gens devenus fous parlaient, expliquaient, tentaient de convaincre. Les gens sains d’esprit ne parlaient pas."

Cette lecture indispensable, je la partage une fois de plus avec mon amie Laure. Merci à toi :)

 

 

 

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Commentaires
A
Un auteur avec lequel j'ai du mal. J'essaierai sans doute de renouer avec ce livre plus personnel.
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K
Le premier que j'avais lu était "Le garçon qui voulait dormir" il revient aussi sur un épisode de sa jeunesse (où il est plus âgé) et on y trouve la même pudeur et la même concision. Ce sont des lectures marquantes.
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A
J'ai été très touchée par cette lecture. J'avais lu avant "Tsili" qui est la version fictionnelle de son enfance, j'y ai retrouvé des éléments.
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