La plus précieuse des marchandises- Jean-Claude Grumberg
"Les jours succédèrent aux jours, les trains aux trains. Dans leurs wagons plombés, agonisait l'humanité. Et l'humanité faisait semblant de l'ignorer".
Ça commence par "il était une fois". Les personnages de l'histoire sont un bûcheron et une bûcheronne, qui vivent au coeur de la forêt. Ils sont pauvres, très pauvres et l'on se dit qu'ils vont probablement croiser la route d'une fée ou d'un génie des bois, qui les sortira de la misère, après quelques mises à l'épreuve... c'est ainsi que cela se passe, en général, dans les contes. Et nous sommes bien dans un conte, la première de couverture ne laisse aucun doute sur ce que le lecteur s'apprête à lire. Va pour le conte.
Sauf qu'ici, aucune fée ni farfadet. Mais un train. De marchandises, fait-on mine de croire. Que la bûcheronne passe son temps à guetter et dont elle attend désespérément quelque chose. Des bouts de papier griffonnés, qu'elle ne peut déchiffrer car elle ne sait pas lire, sont d'abord jetés depuis le train. Et puis un jour, une petite fille, encore un bébé. Que la pauvre bûcheronne, en mal d'enfants, reçoit comme un cadeau miraculeux du "Dieu du train". Une marchandise des plus précieuses. La brave femme va alors recueillir, aimer et protéger sa "petite marchandise" car la vie de cette fillette tout juste née est menacée, tout comme celle des autres passagers du train, conduits vers une mort certaine...
Avoir choisi la forme du conte pour évoquer la Shoah est un pari risqué. On est même en droit de penser que c'est une drôle d'idée. On peut aussi changer totalement d'avis en lisant ce texte magnifique où tout est dit d'une façon imagée, pourtant bien loin d'atténuer l'atroce réalité. Les symboles et métaphores, le ton mi-railleur mi-badin, les rappels au lecteur que l'histoire racontée n'est pas vraie lui donnent au contraire une très grande force. Jean-Claude Grumberg s'empare habilement d'un format à la portée universelle, dont la transmission fut d'abord orale, qui traverse et continuera de traverser les siècles pour nous rappeler l'importance du devoir de mémoire, à l'heure où les survivants disparaissent un à un et où les extrêmes font malheureusement leur grand retour un peu partout dans le monde. Qu'il en soit remercié.
A titre personnel, je ne manquerai pas de recommander ce précieux petit livre pour le CDI l'année prochaine. Tous les élèves devraient l'avoir entre les mains.
Evidemment, comme toujours, c'est une évidence, surtout ne changeons rien, cette lecture est partagée avec ma p'tite Laure : merci à toi, ma chère amie, de prendre note de mes envies farfelues qui rallongent la liste, encore et encore...
Une autre participation à la rentrée littéraire de janvier chez Joëlle