La guerre des pauvres- Eric Vuillard
Les révoltes paysannes et le destin de quelques uns de leurs initiateurs, dont l'exalté Thomas Müntzer, prédicateur qui vit son père pendu pour d'obscures raisons, lut la Bible en allemand (sacrilège !) pour la rendre au peuple, c'est ce dont parle cette "guerre des pauvres". Pas fun, on est d'accord. Eric Vuillard a fait le choix de sujets arides, de textes de plus en courts (68 pages ici) et si ce n'était lui, je fuirais à toutes jambes.
Mais voilà, c'est lui. Eric Vuillard, cet écrivain génial qui m'avait fait vibrer avec son "14 juillet", émue avec "Tristesse de la terre", intéressée avec "L'ordre du jour"... je crois qu'il pourrait me parler à peu près de n'importe quoi, je suivrais.
Parce qu'Eric Vuillard, c'est une écriture puissante, tonitruante, une vraie "gueule"mêlée à une érudition impressionnante. Il me stupéfie à chaque fois. Ce Thomas Müntzer (dont bien sûr j'ignorais l'existence) que la pauvreté des petites gens révolte, ces paysans dévorés jusqu'à l'os par une Eglise et des princes dotés de tous les pouvoirs et dont les abus laissent le peuple exsangue, ces révoltes écrasées dans le sang, il faut une trempe comme celle de Vuillard pour les raconter d'une façon aussi saisissante, captiver la lectrice, à deux heures du matin... et l'amener à lire ces 68 pages deux fois de suite, pour être sûre d'avoir tout compris et rien loupé...
"Les histoires vraies, personne ne sait en raconter", écrit Eric Vuillard dans le dernier chapitre de son récit.
De livre en livre, il prouve heureusement le contraire.
"ll cite l’Évangile et met un point d’exclamation derrière. Et on l’écoute. Et les passions remuent, car ils sentent bien, les tisserands, que si on tire le fil toute la tapisserie va venir, et ils sentent bien, les mineurs, que si on creuse assez loin toute la galerie s’effondre. Alors, ils commencent à se dire qu’on leur a menti. Depuis longtemps, on éprouvait une impression troublante, pénible, il y avait tout un tas de choses qu’on ne comprenait pas. On avait du mal à comprendre pourquoi Dieu, le dieu des mendiants, crucifié entre deux voleurs, avait besoin de tant d’éclat, pourquoi ses ministres avaient besoin de tellement de luxe, on éprouvait parfois une gêne. Pourquoi le dieu des pauvres était-il si bizarrement du côté des riches, avec les riches, sans cesse ? Pourquoi parlait-il de tout laisser depuis la bouche de ceux qui avaient tout pris ?"
Lecture commune avec mon amie Laure, comme chaque lundi :)
5e participation à la rentrée littéraire de janvier, dont notre Joëlle nationale tient fermement les rennes.