"Combien de coups pour ne plus entendre son corps se froisser comme une canette sous les doigts"
En 2009, à Lyon, un sans-abri est battu à mort par des vigiles alors qu'il buvait une bière subtilisée dans un magasin. Ce terrible fait divers a inspiré à Laurent Mauvignier un texte court, poignant, d'une force à couper le souffle.
En effet, le souffle est quasi absent de ce monologue d'une seule traite, sans points ni virgules,seulement ponctué de quelques points d'interrogation, oscillant entre le "il" et "je", semant le doute sur l'identité du narrateur et du destinataire du texte (le frère de la victime a priori). Un doute certes perturbant mais au fond, cette question devient de moins en moins essentielle au fil de la lecture.
Ce qui importe, c'est cette écriture virtuose, emplie de rage, qui redonne chair à celui qui a perdu la vie pour un motif aussi absurde que révoltant, celui que notre société a oublié au point de ne plus voir en lui qu'un "tee-shirt", une "ombre". Celui qui erre, dont on ne sait plus qu'il est toujours un être humain, de chair et de sang. L'atroce fait divers prend sous la plume de Laurent Mauvignier une dimension universelle et interroge sur une société tout entière malade de sa violence et de son indifférence.
Une lecture qui malgré sa brièveté (une soixantaine de pages) nécessite d'avoir le coeur bien accroché. La violence de l'acte et la mort qui suit sont décrites avec un réalisme, une precision qui font froid dans le dos.
Mauvignier fait partie de ces écrivains que j'admire, la puissance de son écriture est unique, les coups qu'il assène sont une nécessité, avec lui la littérature redevient une arme contre la barbarie et l'oubli.
"il est injuste de mourir à cause d’une canette de bière, est-ce qu’en amassant de quoi remplir le caddie le procureur aurait trouvé que c’était le juste prix et que ça ne valait pas plus ?"
A lire de toute urgence, comme mon amie Laure et moi l'avons fait, et beaucoup d'autres aussi ( nombreux commentaires sur Babelio)