Un ano con Almodovar # 4 - Tout sur ma mère
"Une femme est authentique quand elle ressemble le plus à ce qu’elle a rêvé d’être".
Manuela est infirmière. Elle élève seule Esteban, son fils de 17ans. ils sont tout l'un pour l'autre, même si le jeune garçon se pose bien des questions sur son père qu'il ne connaît pas. Le jour de son anniversaire, Manuela promet de tout lui révéler. Alors qu'ils sortent du théâtre, Esteban se fait renverser par une voiture. La mort tragique de son fils plonge Manuela dans le désespoir et la pousse à partir sur les traces de son ancien amour, le père d'Esteban...
Difficile d'écrire un billet sur "Tout sur ma mère" sans avoir l'impression de rabâcher tout ce qui a déjà été dit et redit. On a en effet beaucoup parlé de ce film, il a été analysé, commenté dans tous les sens car c'est une oeuvre majeure dans la filmographie d'Almodovar. Je ne prétends donc pas apporter ma pierre à l'édifice, tout au plus un modeste caillou :)
"Tout sur ma mère" rassemble avec brio toutes les obsessions du réalisateur, obsessions qui de film en film finissent par tisser une large toile : le don d'organes déjà évoqué dans "La fleur de mon secret" dont l'héroïne Manuela est ici la coordinatrice, avec une similitude troublante des scènes d'annonce à la famille, (sans toutefois le côté burlesque de "La fleur...") la passion de l'art, de tous les arts, de l'écriture avec le carnet de notes d'Esteban, dans lequel il consigne ses rêves et son désarroi face au vide laissé par ce père inconnu, en passant par le cinéma et surtout le théâtre : incroyables mises en abyme de la pièce "Un tramway nommé désir" joué sur scène devant Manuela qui interpréta autrefois Stella (le passé lui revient comme un boomerang sur la scène et dans la vie...) mais aussi de "Noces de sang", de Federico Garcia Lorca, joué par Huma à la fin du film. "Tout sur ma mère" regorge d'allusions, de références aux propres films d'Almodovar et à d'autres oeuvres, cinématographiques ou littéraires, auxquelles il rend hommage. C'est un procédé récurrent chez le réalisateur. Son travail se nourrit de ce qu'il a lu, de ce qu'il a vu. Almodovar est un artiste passionné et éclairé.
Travestissement, désir d'être femme, maternité, celle de Manuela, celle de Soeur Rosa... être mère est une joie immense mais également une souffance : Almodovar n'a pas franchement la maternité sereine. Si l'amour est bien là, l'incompréhension demeure et fracture. Entre Manuela et Esteban plane un lourd secret, Rosa et sa mère ne parviennent pas non plus à se comprendre, la seconde qualifiant la première "d'extra-terrestre". L'espoir d'une maternité heureuse que le réalisateur tente de faire passer à la fin du film n'apparaît que par le biais d'un miracle peu crédible. Mais qui a dit que le cinéma devait forcément être aussi sombre que la vie?
Sous le mélo totalement lacrymal, il y a heureusement la couleur, si vive et chère à Almodovar (mêmes les machines qui maintiennent le patient en vie ont des boutons colorés, c'est amusant) et derrière les larmes, une drôlerie délicieuse teintée d'ironie, (quel beau personnage, à la fois drôle et mélancolique, cet Agrado !) une drôlerie qui élève le film bien au dessus du mélo poussé à l'extrême, qui aurait pu tout faire capoter et rendre la chose irregardable. Tant de drames dans un seul film, faut du talent pour faire passer.
"Tout sur ma mère" est avant tout une oeuvre sur la femme, POUR la femme. Toutes sont représentées, belles et complexes : Agrado et Lola, sexuées à outrance mais paradoxalement authentiques car fortes de leur féminité revendiquée, comme l'affirme haut et fort Agrado devant un public conquis, Manuela, mère passionnée et brisée par le destin (bouleversante Cecilia Roth en mater dolorosa), comédienne de talent comme Huma et amoureuse incarnée (au théâtre) ou réelle (amours compliquées qui finiront forcément mal car l'autre est dépendant...) . En regardant "Tout sur ma mère", on se demande d'ailleurs où est passé l'homme. Tellement discret après la disparition tragique du jeune Esteban, homme en devenir mais qui ne sera pas, qu'il n'apparaît qu'à la fin, atteint de la maladie d'Alzheimer... ou du SIDA et travesti en femme.
Il y a tant de choses à dire sur ce beau film baroque, tout à la fois drame romantique, mélo comique... on passera largement sur les quelques coincidences un peu faciles et invraisemblances (les amitiés se nouent très vite au pays d'Almodovar, on ne se connaît pas, deux minutes plus tard, on est liés pour la vie) pour en apprécier toute la beauté. Moins vénéneux que "La Mauvaise Education" (qui reste à ce jour mon préféré), il mélange somptueusement les genres. Les comédiens qui le portent sont magnifiques. "Tout sur ma mère" est à voir absolument !
Ma copine et partenaire Pousse de Ginkgo en parle sur son blog.
Le mois prochain, on regarde "Etreintes brisées". Rejoignez-nous si le coeur vous en dit :)
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