Knockemstiff- Donald Ray Pollock
« Pas étonnant qu'on dise du mal des pauvres »,
Bienvenue à Knockemstiff, dans l'état de l'Ohio, un bled qui ressemble à s'y méprendre à la cour des miracles. Tous les damnés d'Amérique s'y retrouvent : pauvres, alcooliques, drogués, moches, sales, stupides, violents, obsédés, sans espoir, (même pas celui de quitter un jour Knockemstiff) sans avenir... les maris tapent sur leurs femmes, les femmes se tapent tout ce qui bouge, les filles se tapent leurs frères, (qui se tapent aussi les poupées de leur frangine) les gosses en prennent plein la gueule et feront de toute façon la même chose que leur paternel, l'exécrable mais unique modèle...
Charmante représentation de l'Amérique que nous offre Pollock dans ce recueil de nouvelles, dix-huit textes dont on ne sort pas indemne, à dire vrai j'en ai rarement lus d'aussi sordides. Je suis tout de même allée au bout de ma lecture car je reste fascinée par les écritures sans tabou, et la fureur qui se dégage de Knockemstiff est vraiment incroyable. Dans une -très-moindre mesure, j'ai pensé à Joyce Carol Oates pour le côté jusqu'au-boutiste, la crudité, l'écriture à la serpe, et la mise à nu des choses et des gens. Des gens qu'on rencontre parfois dans une nouvelle et qu'on retrouve dans une autre : la boucle étant bouclée, les habitants de Knockemstiff seront toujours les mêmes et toujours là, enracinés dans ce trou perdu de l'Ohio, à se taper dessus, à vomir l'alcool et les drogues qu'ils ingurgitent à longueur de journée, à déféquer (oui, vous avez bien lu, Pollock ne nous épargne rien): ils naissent, grandissent et meurent à Knockemstiff...
Et puis parfois, un petit quelque chose d'humain émerge ici ou là, un infime sursaut de dignité, un semblant de rêve, quelque chose qui pourrait même ressembler à de l'amour ("Knockemstiff")... Insignifiant mais pourtant là, hélas trop vite noyé dans la sinistrose d'une ville que l'on ne quitte jamais,"collé à [elle] comme un champignon à un tronc pourri"...
"Daniel a soudain réalisé que là, sur la route, on pouvait être tout ce qu'on voulait bien être. On pouvait s'inventer une nouvelle vie au bénéfice de chaque type qui vous montait en stop. On pouvait être boy-scout sans le moindre badge, millionnaire sans un pot pour pisser dedans, cow-boy sans cheval".