Les silences sauvages- Karin Serres
"Quand Jeanne se lève pour aller aux toilettes, elle glisse les deux tranches de pain de la corbeille dans son sac à main, pour demain matin."
Je traverse une phase pénible de lectures décevantes que je peine à finir, quand je ne les abandonne pas avant la fin. Ça m'énerve. Ça m'énerve tellement que je me suis dit "ok il faut arrêter de lire ".
Non, je blague. Jamais je n'arrêterai de lire ou alors j'arrête de respirer. Mais tout de même, il a fallu Aifelle et son beau billet sur les Silences sauvages de Karin Serres pour relancer la machine.
Ces trois longues nouvelles, qualifiées de romans par Karin Serres (ne pas zapper l'intéressante postface qui éclaire le lecteur sur le travail de cette auteure étonnante) sont de toute beauté. Elles mettent en scène des femmes, secrètes, sauvages, silencieuses, un peu perdues dans un monde devenu inintelligible car violent, où la beauté reste malgré tout présente et laisse un infime espoir : la nature, l'eau, les animaux, salvateurs, sont au premier plan de ces histoires pourtant bien sombres, à l'exception peut-être de la troisième ("Limule").
Dans "Sirène", une femme, détruite par la perte de celui qu'elle aime, tente de se reconstruire. Elle est sur le point d'y parvenir quand le monde s'écroule à nouveau mais...
Dans la seconde nouvelle, l'héroïne, magnifique personnage sacrificiel, vit dans le dénuement avec pour seul compagnon le chien de sa grand-mère malade, et fait tout pour sauver les apparences : son combat pour survivre et cacher sa misère est permanent. Quant à la troisième héroïne, elle doit prendre une décision cruciale. En voyage professionnel aux Etats Unis, elle croise d'étranges créatures au bord de l'océan qui l'aideront peut-être à faire un choix.
Ces trois textes m'ont passionnée, avec une préférence cependant pour le deuxième, intitulé "Chien". Sincèrement, je n'ai pas lu une nouvelle aussi puissante depuis bien longtemps. Une situation qui brise le coeur, illustrée par une foule de détails, comme autant de stratégies mises en place par le personnage qui s'acharne à "faire comme si". Bouleversant.
Je connais très peu Karin Serres : "Monde sans oiseaux", lu il y a longtemps, ne m'a laissé aucun souvenir (je devais être mal lunée et je vais le relire de ce pas...). Je suis bluffée par la beauté de son écriture poétique, par l'atmosphère qui se dégage de ces nouvelles, à la lisière de l'étrange, tout juste à la marge de l'iréel, tout en offrant la vision du monde d'aujourd'hui dans toute sa brutalité crue. Ses beaux personnages féminins suscitent une empathie immédiate et laissent une trace dans la mémoire du lecteur, en tout cas dans la mienne, c'est sûr.
Merci, ma chère Aifelle, de m'avoir sortie de cette mauvaise passe grâce à cette magnifique découverte :)
"L'absence de couleurs dans cette ville la repose, le ciel perpétuellement plombé la rassure, tout comme la pluie quasi quotidienne, le froid, le brouillard des matins et soirs : rien ne lui rappelle sa vie d'avant."