S'abandonner à vivre- Sylvain Tesson (Lecture audio)
"Ils s'aimaient, héberlués par ce qui les séparait. Leur amour procédait de la fascination des gouffres. Ils s'aimaient à travers une plaine, ou plutôt d'une rive à l'autre. Au milieu, coulait leur vie."
Les nouvelles de Syvain Tesson m'ont accompagnée pendant quelques semaines. J'ai pris mon temps, mais c'est surtout parce que c'était une lecture audio et que "l'écouture" oblige à un autre rythme. On écoute une nouvelle en faisant la vaisselle, en coupant des poireaux, en allant travailler surtout, on pause, pour une heure ou un jour, ou deux, voire plus. On écoute quand on peut, et c'est très agréable, surtout lorsqu'il s'agit de textes courts, ainsi on ne souffre pas d'une interruption (faut changer une couche, répondre au téléphone...) au milieu d'un passage essentiel. C'est une expérience que j'apprécie de plus en plus et qui me permet d'aborder plusieurs bouquins à la fois, chose que je ne sais pas faire lorsqu'il s'agit d'une lecture classique.
Pour en revenir à ces nouvelles, je les ai aimées. Les situations sont variées, elles sont amusantes pour la plupart, émouvantes parfois ("L'ennui" est une de mes préférées, remarquable, vraiment) dépaysantes toujours, nous baladant de Paris en Sibérie, en passant par le Texas, l'Afrique ou ailleurs... Ce qui fait vraiment tilt chez moi, mais ce n'est pas une surprise, j'avais déjà ressenti cela lors de ma précédente lecture de Sylvain Tesson, c'est la langue de l'auteur, que je trouve décidément extraordinaire. Soutenue mais pas pédante, elle surprend aussi avec ses ruptures de ton, qui m'ont fait sourire plus d'une fois. Quelques bons gros mots au milieu d'expressions ou verbes d'une charmante désuétude ("opiniâtrer", j'adore, ça sort d'où?)
Un petit bémol cependant, qui a fait l'objet d'une longue discussion avec mon amie Solange. Nous étions sur le canapé, en train d'écouter la première nouvelle du recueil, "Les amants", et je vois Solange sourire un peu sur la fin, un sourire entendu, pas convaincu. "Mouais... me dit-elle, facile, la chute, j'avais deviné au moment où..." Je proteste, je dis "non non c'est drôlement bien et tout et tout, c'est fait exprès etc " (quand j'aime je suis parfois non objective..) Solange me sort alors l'argument qui tue :"si on écrivait une nouvelle avec une chute pareille, en atelier d'écriture, on se ferait retoquer..."
Bon, c'est vrai, Solange, tu as raison, après écoute attentive de tous les textes, il s'avère que la faiblesse réside en effet dans les fins, pas toujours surprenantes, faciles quoi. C'est dommage, on a parfois l'impression que Tesson ne sait pas comment terminer, et ne veut pas se compliquer la vie. Donc, il chute, vite et pas forcément très bien.
Ceci étant, mon plaisir de lecture a été réel, d'autant que les nouvelles sont lues par Sylvain Tesson lui-même, avec une belle voix grave, une diction nette, c'est très appréciable. Je garde son autre recueil pour plus tard.
Je n'ai pas de téléphone portable car je trouve d'une insondable goujaterie d'appeler quelqu'un sans lui en demander au préalable l'autorisation par voie de courrier. Je refuse de répondre au « drelin » du premier venu. Les gens sont si empressés de briser nos silences...J'aime Degas, lançant « c'est donc cela le téléphone ? On vous sonne et vous accourez comme un domestique. » Les sonneries sectionnent le flux du temps, massacrent la pâte de la durée, hachent les journées, comme le couteau du cuisinier japonais le concombre".
J'ai acheté ce livre audio chez "Book d'oreille", il est édité par Gallimard audio