Onze petites trahisons- Agnès Gruda
"C’est simplement que dans la vie, il y a les gens qu’on voit et il y a les autres, ceux qui passent inaperçus. J’ai toujours appartenu à la seconde espèce, c’est un fait, et je l’ai tacitement accepté. Je regardais maman, elle te regardait, et c’était comme ça, c’était notre réalité à nous, notre chaîne à nous trois".
Pour ma première participation au septembre québécois, chez Karine et Yue, j’ai eu la main heureuse. (Merci Cuné !) Ces onze nouvelles sont bonnes, vraiment très bonnes. Y sont évoquées les petites et grandes trahisons qui jalonnent nos existences, et pour toujours laissent des traces. Une femme croise son idole sur un banc et se sent flouée par sa banalité, une femme cache la mort de leur mère à son frère pour l’avoir enfin tout à elle, une adolescente rencontre le père qu’on lui a longtemps caché et là encore, la déception est amère... Si les trahisons dont il est question sont de gravité variable, en revanche toutes les nouvelles sont excellentes et addictives. Cuné a raison lorsqu’elle parle de "frustration" car on a le sentiment de lire des embryons de romans en découvrant ces textes. Agnès Gruda sait créer des personnages et des situations qui captent, séduisent, attrapent le lecteur en seulement quelques pages. On voudrait que ça ne s’arrête pas, continuer encore un peu avec eux... Elle pose le doigt sur des choses qui dérangent comme un système de santé défaillant, les migrants pour lesquels la vie n’est pas simple dans ce froid pays qu’est le Canada. Elle fait montre d’une grande finesse et d’un sens de l’observation tout à fait remarquable : ces êtres qui trahissent ou sont trahis sont d’une touchante humanité. J’ai aussi beaucoup aimé son écriture, à la fois simple et toujours si juste. Vraiment bonne pioche.
"Tout chez Olivier était vaste: sa voix qui cascadait avec un grondement hormonal, ses mains dotées de doigts monumentaux, son rire qui lui faisait produire des sons stridulants. (...) C'était comme s’il y avait eu de la matière en excès le jour de sa conception, comme si le responsable de l’inventaire avait oublié d'ajuster le débit, ou de compter les cordes vocales."
Chez Manou