"Parfums"- Philippe Claudel
Philippe Claudel fait partie des écrivains que j'adore. Son écriture m'enchante. Ses histoires aussi.
Merveilleux Philippe Claudel.
Quand j'ai découvert son nom dans la liste des auteurs proposés pour les matchs de la rentrée littéraire sur PriceMinister, j'ai à peine regardé les autres. Je vous jure, c'était LE Claudel que je voulais. Et je l'ai eu ! :)
Je m'attendais à quelque chose de magnifique, eh bien "Parfums" est sans surprise. C'est à dire... magnifique.
Tous les parfums évoqués ici sont l'occasion d'une plongée dans la vie et les souvenirs de l'auteur et constituent ce qu'il nomme joliment son"bagage immatériel" : senteurs suaves et délicates, subtiles ou âcres, odeurs de lieux, de gens, croisés, aimés, vivants ou disparus, de cuisine chaleureuse et épicée (oh le chapitre sur la cannelle...) odeurs charnelles, corporelles, parfums d'une enfance heureuse où l'on prépare la sauce tomates en famille, où le père, les joues enduites de lotion après-rasage, redevient "nourrisson" pour un instant, mais aussi puanteurs de pissotière, de chou, qui deviennent sous la plume de Claudel autant d'objets poétiques. Je ne vous mens pas en disant que cette lecture m'a procuré des frissons de plaisir et fait pousser de gros soupirs de bonheur.
Je me suis retrouvée dans ma cuisine, en train de lire des passages de ce livre enchanteur à voix haute, pour moi-même, juste pour la beauté des mots, la perfection des phrases qui se déploient, chatoyantes, ou au contraire se font concises, percutantes. Ecoutez Lisez plutôt :
« Avant que mon aimée n’ouvre les yeux, avant même qu’elle ne me voie, qu’elle ne me sourie, ce que je veux étreindre en respirant sa peau et sa chevelure, c’est notre présence commune qui fait de ce réveil le recommencement de notre amour, l’aube ressuscitée d’une durable harmonie. »
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"Je glisse le pain entre la veste et le gros pull, remonte mon col et repars à toute allure. La maison n'est pas encore réveillée. Je ferai la surprise du pain frais. (...) Contre le muret de pierre qui prolonge la chapelle, je goûte l'ombre comme un frais breuvage.Tout se confond de l'hier et du maintenant. Heureux, je pédale vers chez nous, le café au lait, le beurre et la confiture de fraises, avec contre moi une brûlure délicieuse, comme si on avait glissé sous mes vêtements un quartier de soleil".
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"Bridés, rabaissés, ralentis, les parfums de la vie perdent en prison un octave. Ils se ternissent, ne parviennent pas à tinter comme ils devraient. A peine entrés, ils se défont et se diluent. Ils subissent la patine des vieux murs, le gras des sols pourtant constamment lavés, la tristesse usée des peintures refaites en vain chaque printemps. Comme les êtres qu'ils accompagnent, ils ne font plus d'efforts pour paraître et se vêtir. Ils abdiquent leur nature, se résignent, deviennent uniformes. Et c'est là sans doute ce qui caractérise le plus le parfum de ce lieu, qui est dans notre monde tout en n'y étant pas : les senteurs se refusent à être ce qu'elles sont et à se distinguer les unes des autres. Elles se laissent glisser dans un abandon d'elle-mêmes. Elles renoncent. Le parfum de la prison est un parfum courbé".
Puisque je dois donner une note... ce sera naturellement un 20/20.
Sylvie, du blog Evalire, a aimé aussi :-)
Un grand merci à PriceMinister et aux éditions Stock pour ce grand bonheur de lecture.