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Aux Bouquins Garnis
11 août 2018

Le dernier bain- Gwenaële Robert

 

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  "La vérité n’est pas toujours au-dessus, mais en-dessous"

Juillet 1793. Au 30 rue des Cordeliers, à Paris, réside le député Montagnard Marat. Atteint d'une maladie incurable que seuls des bains de soufre et les soins diligents de sa compagne Simone parviennent à soulager, "l'ami du peuple" ignore que ses jours sont comptés. Dans quelques heures, il mourra pourtant de la main de la jeune Charlotte Corday.

 Comme Charlotte, fraîchement débarquée de Caen, deux autres femmes, l'anglaise Jane Ashley et Marthe Brisseau, la robuste lingère de Marie-Antoinette emprisonnée au Temple, projettent elles aussi d'assassiner le révolutionnaire. Elles ne se connaissent pas, ne feront que se croiser et ont toutes les trois des raisons d'en vouloir à la vie de celui que le peintre David immortalisera dans son fameux tableau (et des raisons, totalement imaginaires, de ne pas aller au bout de leur projet pour deux d'entre elles). Marat, que son ami représente tel une figure christique, nue et blanche, aurait été victime de sa trop grande "bienveillance". Charlotte Corday lui aurait en effet demandé audience dans le but de l'assassiner.

 Sous le vernis de la toile de maître, que l'auteure nous invite à gratter, la réalité apparaît toute autre: confiné dans sa baignoire, Marat le sanguinaire signe avec une ferveur morbide la condamnation de tous les prétendus ennemis de la République, aidé dans sa sinistre tâche par le peuple qui a pour nouveau dieu la délation. Théodose, jeune prêtre défroqué, devenu écrivain public pour survivre, devient à son corps défendant, l'auteur de ces lettres de dénonciation adressées au 30 rue des Cordeliers. Théodose craint pour sa vie: l'époque est impitoyable envers les nobles, les prêtres et tous les représentants- ou supposés représentants- de l'Ancien Monde...

Dans ce très beau roman, que j'ai eu la chance de découvrir en avant-première, Gwenaele Robert mêle avec adresse la petite histoire à la grande, faisant revivre avec un réalisme formidable Paris sous la Terreur, entre liesse et meurtres de masse, manipulation de la foule eh oui, les temps changent et pourtant rien ne bouge qui crève encore et toujours de faim mais n'en a plus cure, c'est là toute la différence, et se fait joyeusement complice de la mort des amis, des voisins... La réalité - extrêmement bien documentée, un travail remarquable de reconstitution historique auquel s'est attelée Gwenaële Robert- croise la fiction avec brio et les épisodes tragiques, fictifs ou bien réels, que narre l'auteure, épouvantent autant qu'ils émeuvent. Le cocher et son Christ tatoué dans le dos, marque de l'infâmie en ce Nouveau Monde, le perruquier qui perd deux fois son fils, la lingère, emportée par l'indignation, la reine déchue à qui on arrache son enfant... tous ces personnages, imaginaires ou pas, sont saisissants, portés par une écriture au plus près de leurs pensées, de leurs actes, qui nous les rend de ce fait très attachants.

Comment ne pas être ému par le calvaire de Marie-Antoinette, se vidant peu à peu de son sang, se laissant lentement mourir lorsqu'elle est brutalement séparée de son petit garçon? "Un étage seulement les sépare. La reine retient son souffle avec l'espoir fou d'entendre celui de son fils, les battements de son coeur de huit ans. Mais le sol est dallé de pierre et les pierres sont muettes (...) Demain elle collera  son oreille sur le sol, elle cherchera une fissure, elle essaiera d'aménager une trappe. Elle donnerait le peu qui lui reste pour entendre sa voix claire (...) Le peu qui lui reste, c'est-à-dire sa vie même". La dignité et le courage de la jeune Charlotte face à ses juges est aussi un grand moment de littérature : "dans cette tragédie, il n'y a qu'un grand rôle, c'est le sien".

Le talent de l'auteure est tel qu'on oublie très vite ce qui relève du roman ou de la réalité, les deux se confondant avec un parfait naturel. Personnage historique, héros de roman... On finit par ne plus s'en préoccuper, l'essentiel étant dans l'énorme plaisir de lecture que ce roman procure. Histoire, émotion, tension dramatique, beauté de la langue... tout y est. 

Je suis d'autant plus ravie d'avoir aimé ce livre qu'il m'a été gentiment proposé par Gwenaële Robert, dont le premier roman fut un coup de coeur, et les Editions Robert Laffont. Dans ce cas précis, aucun scrupule à chroniquer un roman offert par l'auteure, qu'on craindrait de vexer le cas échéant etc. Le problème des SP, vous savez. On veut rester honnête à tout prix, mais pour ma part, je ne le suis jamais sans peur de blesser. Je suis donc soulagée à double titre, vous n'imaginez pas... Ce roman est un régal, je peux le dire, je peux l'écrire avec enthousiasme, Gwenaële Robert ne me déçoit pas. Je dis chapeau, après "Tu seras ma beauté" il fallait le faire ! (double effet kiss cool)

J'espère que Gwenaële Robert ne sera pas la grande oubliée des prix de l'année 2018. On a tôt fait, je trouve, d'oublier les vrais bons livres, avec la tornade de la rentrée et ses habitués des têtes de gondole...

Merci à elle et aux Editions Robert Laffont pour leur confiance.

 J'ai le plaisir de partager cette lecture avec ma copine Pousse, dont le billet est ici

 « Pardonnez-moi, mon cher Papa, d’avoir disposé de ma vie sans votre permission. » (lettre de Charlotte Corday à son père, la veille de son exécution)

 

 

 

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Commentaires
A
Tu me donnes bien envie de découvrir l'auteure avec ce roman.
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D
Bonsoir Une comète, merci pour ce conseil d'autant plus que je suis très intéressée par la Révolution française depuis toute petite. Marat, comme Fouquier-Tinville étaient des tristes sires. Il faut rappeler que Charlotte Corday est l'arrière-arrière-arrière-petite fille de Pierre Corneille. Bonne soirée.
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Z
Un livre qui me tente beaucoup
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P
Très belle histoire qui rappelle d'une plume élégante un épisode terrible de l'Histoire de France. Entre intime et public, fiction et réalité, défi relevé !!
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