Le pays des autres- Leïla Slimani
"Maintenant qu’elle était décidée, à présent qu’aucun retour en arrière n’était possible, elle se sentait forte. Forte de ne pas être libre".
Vivre au pays des autres, de l'autre, c'est pour Mathilde, jeune alsacienne qui dévore la vie, une aventure dans laquelle elle se lance tête baissée. Celui qu'elle aime s'appelle Amine, un spahi marocain qui a combattu pour la France pendant la dernière guerre. Le couple se marie et s'installe au Maroc où Amine espère devenir un propriétaire terrien prospère, à force de travail. Nous sommes au début des années 50 et l'existence dont rêvait Mathilde, ses espoirs d'une belle vie, se heurtent à la dure réalité d'un pays colonisé, où les femmes ne sont pas guère plus que des épouses et des mères. Mathilde découvre aussi un Amine dur et sombre, viscéralement attaché aux valeurs et aux traditions familiales, alors qu'elle n'aspire qu'à la liberté et à l'émancipation. Deux enfants naissent de leur union et Aïcha, l'aînée, scolarisée chez les Soeurs, se montre particulièrement intelligente et douée pour les études...
J'ai sauté de joie quand j'ai su qu'arrivait un nouveau roman de Leïla Slimani, écrivaine que j'adore, un peu moins quand j'ai su qu'il racontait peu ou prou l'histoire de ses grands-parents. J'ai assez râlé ici sur cette tendance des auteurs actuels à parler de leurs ancêtres pour ne pas recommencer. D'autant que lorsqu'il s'agit de la grande Leïla, dont le talent n'est plus à démontrer, on peut espérer quelque chose de passionnant, romanesque, bien écrit, toussa toussa.
En effet, c'est trop bien ! Quel talent ! Avec ses beaux personnages, touchants jusque dans leurs travers, dépeints sans manichéisme, son histoire qui tient en haleine de bout en bout, son écriture d'une justesse et d'une précision toute slimanienne, cette plongée dans la vie de la famille Belhaj, dans un Maroc sous protectorat qui s'enflamme avant l'indépendance, m'a totalement embarquée. J'ai frémi devant le sort réservé à la sensuelle Selma - Il n'est pas bon pour une femme, placée sous l'autorité de ses frères, d'être belle, d'avoir envie d'aimer et de le montrer !- j'ai craint pour Mathilde (j'ai eu tort, elle est forte, cette femme là), j'ai espéré pour Aïcha, j'ai tremblé face à la violence d'Omar, mais aussi celle d'Amine... Il l'aime, pourtant, Mathilde, il l'aime follement, mais elle est si différente de lui, différente au point de lui sembler insupportable...
Vraiment, j'ai hâte de lire la suite, car il s'agit d'une trilogie. Le roman se termine d'une façon qui ne peut laisser longtemps le lecteur dans l'attente !
Un très grand plaisir de lecture, qui est arrivé à point nommé.
NB : pas avant 2021, la suite, me dit-on... :(
"Aïcha connaissait ces femmes aux visages bleus. Elle en avait vu souvent, des mères aux yeux mi-clos, à la joue violette, des mères aux lèvres fendues. À l’époque, elle croyait même que c’était pour cela qu’on avait inventé le maquillage. Pour masquer les coups des hommes".