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Aux Bouquins Garnis
27 juin 2018

Le lambeau- Philippe Lançon

                                                                  

                                  "Je ne vivais ni le temps perdu, ni le temps retrouvé, je vivais le temps interrompu"

 

XVMdbd6cdcc-631f-11e8-9efd-4933e144f167-200x300Le 7 janvier 2015, les frères K... surgissent dans la salle de rédaction du journal Charlie Hebdo, mitraillant tout ce qui bouge : Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Bernard Maris, Honoré tombent sous les balles. Philippe Lançon en reçoit une en pleine face, elle lui explose la mâchoire.

Deux ans après l'attaque meurtrière, le journaliste raconte dans "Le Lambeau" ces quelques minutes terrifiantes, où gisant au milieu des cadavres de ses camarades, il se pense mort. "Le lambeau", c'est aussi le récit d'un chemin de croix, d'opérations lourdes, de soins et de rééducations effroyablement douloureux, entre la Pitié-Salpêtrière et les Invalides, de va-et-vient entre le bloc opératoire et la chambre pendant deux longues années.

Quel livre ! Je commencerai par dire que j'aurais sincèrement préféré que Philippe Lançon n'ait pas eu à l'écrire mais voilà... Je ne vais pas être très originale non plus en affirmant qu'on tient là un chef-d'oeuvre, un futur Goncourt peut-être. Tant pis pour l'originalité, ce livre est d'une telle force que les commentaires, le mien comme les autres, sont de toute façon un peu vains...

Outre ses indéniables qualités littéraires - la plume de Philippe Lançon est magistrale - "Le lambeau" est le récit d'une incroyable expérience, celle qui consiste à aller creuser au plus profond de soi-même pour en faire jaillir le ressenti, s'en approcher au plus près, bien au delà d'une juste description des événements par celui qui les a vécus et en portent les marques dans sa chair. Cette expérience passe par une sorte de dédoublement : il y a le Phillippe d'avant et celui qui est à terre, qui ne comprend pas ce qui se passe mais réalise peu à peu que tout cela n'a hélas rien d'une "farce". Ces moments du livre sont absolument saisissants, mais la suite l'est tout autant. Le récit de la lente ressurection de Philippe Lançon, devenu en seulement deux minutes une "gueule cassée", ce récit sans haine, sans un gramme de pathos, courageux et digne, de sa vie au milieu des soignants, le courage et l'amour de ses proches, la sollicitude exigeante de Chloé "sa" chirurgienne - qui a beaucoup plu à notre ancien président en visite, l'anecdote est stupéfiante- , tout cela  bouleverse. Son amour des livres (certains, dont "mort de ma grand-mère" de Proust, sont devenus des compagnons de bloc...), de l'art qui sauve de tout même du pire,  m'a remué profondément.

"Le Lambeau" est un livre choc, un livre dur, de ceux qui vous hantent longtemps après lecture. J'avais par prudence téléchargé un petit extrait. Je n'ai pas pu m'en contenter et je l'ai lu en entier, hélas pas comme il l'aurait mérité, c'est-à-dire en apnée, sans rien ni personne autour de moi pour perturber ma rencontre avec Philippe Lançon. On se sent un peu coupable de lire un témoignage de cet acabit entre un épisode de Maya l'Abeille avec fiston, un repas à préparer, des tracas divers et variés. Petits tracas qui rendent évidemment très modeste au regard du 7 janvier... mais on fait ce qu'on peut.

Philippe Lançon m'a donc accompagnée quelques jours et quand je ne le lisais pas, je pensais à lui. Beaucoup. A son calvaire, à son épatant courage, à sa volonté farouche de vivre, malgré les tuyaux, la douleur, les moments de découragement, les longs couloirs de l'hôpital qu'il ne quitte plus pendant de longs mois. Il y aura un avant et un après ce livre pour moi, c'est certain.

"Et ce sont les violents qui l'emportent" ce sont les paroles de Saint Mathieu (11.12) prononcées par Michel Houellebecq lorsqu'il croise Philippe Lançon le temps d'une soirée. Il a tout faux.

Au bout du tunnel, il y a heureusement la vie... et la littérature, ce livre en est la preuve éclatante.

"Victime, moi? Un journaliste peut être blessé ou tué en reportage, mais victime il ne peut pas l'être. Un journaliste peut être une cible. Il n'est pas un sujet. Il n'est pas préservé de l'histoire qu'il couvre, mais il peut devenir le coeur de l'histoire elle-même. C'est une plante qui pousse dans l'angle mort de l'événement."

 

 

 

 

 

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Commentaires
A
Tu es bien sur le bilan Béa. Eimelle est venue commenter via mon blog. Tu ne vois pas ton livre ? Après Aifelle ?
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E
je n'arrive pas encore à me décider, mais j'y arriverai sans doute!
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A
Ce doit être un livre très marquant en effet !!
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A
On sent que cette lecture t'a marqué.
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Z
Sûrement difficile à lire et donc pas facile à chroniquer, mais tu t'en sors très bien en faisant ressortir l'émotion mais non le pathos et l'espérance
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