"A travers les champs bleus"- Claire Keegan
Un prêt de mon amie Philisine, qui a pensé (et bien pensé) que ce recueil me plairait, et me voilà plongée dans l'univers de Claire Keegan. Un univers où la tranquillité n'est qu'apparence, où l'écriture sans fioritures, qui semble couler de source, laisse faussement penser que rien ne se passe. Or, il se passe bien des choses dans les"champs bleus": infimes et pourtant essentielles.
Claire Keegan s'intéresse aux gens, irlandais ruraux pour la plupart, qu'elle décrit sans débordements, par petites touches. Au pathos, elle préfère les nons-dits, les sous-entendus. Pour situer ses nouvelles dans une époque, là aussi, Claire Keegan opte pour la suggestion : une télévision, un aéroport, disséminés ça et là, nous les rendent contemporaines. Mais modernes ou pas, c'est sans importance, tant les désillusions sur la famille, l'amour, que vivent les personnages sonnent justes. Leur souffrance est intemporelle.
Cette souffrance, volontairement assourdie, la violence diffuse dont sont imprégnées ces huit nouvelles, se font soudain fulgurantes, comme dans le très beau "A travers les champs bleus" où l'amour étouffé trop longtemps finit par jaillir dans un cri, ou encore dans" La fille du forestier", (magnifique texte, mon préféré du recueil) où un brasier pourrait s'avérer salvateur :
"Deegan se sent plus léger qu'avant. La corvée du passé est derrière lui et le nouveau labeur n'a pas encore commencé. Sur le chemin les flaques reflètent le feu, resplendissent comme de l'argent."
Le lecteur travaille, décode, relit parfois (ça a été mon cas) pour être sûr de ne rien laisser passer. Claire Keegan ne choisit pas la facilité, donne à réfléchir, offre des pistes... parfois fausses. La première nouvelle, un brin espiègle, où une rencontre inopportune ouvre les portes de la création, surprend car elle ne donne pas vraiment le ton du reste du recueil, grave et mélancolique.
J'ai été charmée.
"Il se rappelle ces heures allongé nu avec cette fille. Il se rappelle tous ces pissenlits montés en graine et la déclaration qu'il a faite de l'aimer toujours. Il se rappelle cela, intégralement, et n'éprouve aucune honte. Comme c'est étrange d'être vivant. Bientôt ce sera Pâques. Du travail l'attend."
Une contribution pour Sharon :
Merci Philisine ! Retrouvez son billet ici, mais aussi celui de Clara, de Cathulu... tous enthousiastes.