Les visages écrasés- Marin Ledun
"La vérité, c'est que j'ai mal pour eux."
Carole Matthieu, la petite quarantaine, est médecin du travail sur une plateforme téléphonique.Toute la journée, elle recueille les souffrances indicibles des salariés, maltraités par une direction inhumaine dont le seul souci est de faire du chiffre. Carole ne va pas mieux que ses patients : profondément dépressive, gagnée par les violences psychologiques dont ils sont victimes, rongée par la culpabilité de ne pas pouvoir les aider, elle absorde une quantité de médicaments impressionnante pour tenir le coup. Carole Matthieu a perdu tout recul, elle n'est plus que souffrance, et le roman démarre tragiquement par un meurtre...
Je n'en dirai pas davantage mais ce polar (roman noir, thriller social...) est un coup de poing qui m'a laissé chaos. J'ai d'ailleurs mis plus de temps que prévu à le lire tant il est suffoquant. Des pauses ont été nécessaires. On assiste, impuissant, au naufrage d'une femme que rien ni personne ne peut sauver (sans spoiler, c'est fichu d'avance, Carole est vraiment très très atteinte...) son incapacité à endiguer les violences d'une société malade (personne ne l'écoute ou si peu) la conduisant fatalement au pire. La dénonciation du monde de l'entreprise, qui met les salariés à terre, les pousse à la violence, sur eux-mêmes, sur leurs collègues, et nie sa responsabilité jusqu'à l'absurde, est implacable.
Il y a une semaine, j'ai écouté une émission ayant pour thème la vague de suicides chez France Télécom en 2009 (Affaires Sensibles, sur France Inter, à écouter même si c'est effrayant ). Voilà, nous y sommes et ça fait très peur. J'ai fini le livre hier soir, complètement rincée. La fin pourtant prévisible m'a laissé sans voix (étonne-toi d'avoir du mal à dormir si tu lis des trucs cauchemardesques...)
Marin Ledun écrit sec, nerveux, tendu. Il est fort. Je le relirai, c'est sûr. Mais après ce roman explosif, je cours chercher un peu de douceur. Une gentille collègue m'a prêté un Foenkinos pour les vacances, ça tombe très bien.
"Je revois ses cheveux tomber en même temps que sa fierté. Je le vois passer du statut de salarié à celui de rouage. Du rouage à la bête aux abois. De la bête aux abois au légume. Du légume à l'oubli".