Chanson Douce- Leila Slimani (version audio, lu par Clotilde Courau)
"On se sent seul auprès des enfants. Ils se fichent des contours de notre monde. Ils en devinent la dureté, la noirceur mais ne veulent rien savoir"
J'ai longtemps hésité à lire "Chanson Douce", pour deux raisons : la première relève de la vieille rancune pour une histoire de Prix Goncourt qui a échappé en 2016 à mon chouchou Gaël Faye pour revenir à Leïla Slimani... c'est bête mais c'est comme ça. J'ai la rancune facile et idiote moi. La seconde raison est moins tordue : j'ai tellement aimé "Dans le jardin de l'ogre" que j'avais peur d'être déçue. C'est bien connu, les Prix Goncourt déçoivent parfois et les seconds romans souvent. |
J'ai donc attendu et me suis finalement laissée tenter par une offre de lecture audio : "Chanson douce" proposée par Audible, lue par Clotilde Courau. J'ai drôlement bien fait : "Chanson Douce" est une terrible gifle, extrêmement addictive. Il plonge le lecteur (l'auditeur) au coeur de l'âme tourmentée de Louise, nounou embauchée par Myriam et Paul, un couple de bobos parisiens, pour s'occuper de leurs deux jeunes enfants : Milla et Adam. Louise est la nounou idéale, efficace, d'une propreté rigoureuse, économe, bonne cuisinière, raconteuse de jolies histoires, entièrement dévouée à ses employeurs et à leurs petits. Elles les aiment tellement, ces petits- et ils le lui rendent bien- qu'elle finira par les tuer.
Le roman commence par cette phrase terrible :" le bébé est mort".
L'intérêt de "Chanson douce" n'est pas son suspense. Un crime atroce a été commis, de cela on est informés dès le départ. Le roman s'intéresse bien plus à l'effroyable solitude d'une femme qui n'a jamais eu les moyens de ses ambitions, que la vie a toujours malmenée. L'aveuglement coupable de ceux qui la côtoient a sans doute conduit au drame que l'on sait. Myriam et Paul sentent bien quelque chose ne va pas chez Louise, un peu plus chaque jour, ils l'évoquent parfois, trouvent son attitude étrange, mais le confort domestique que sa présence apporte au couple balaie les scrupules et les interrogations, jusqu'au meurtre. Le voile est alors levé sur la personnalité détraquée de la nounou.
L'écriture est au scalpel, cinglante et juste, pas un mot de trop dans ce récit glaçant. Si Myriam et Paul, malgré un malaise diffus, sont incapables de décoder les signes annonciateurs du drame, le lecteur/auditeur attentif saura répérer les moments où le désespoir de Louise, le délabrement de son existence (symbolisée entre autre par la cabine de douche qui s'effondre et pourrit), son errance sans le moindre point de chute, sont tellement forts que la mort devient la seule issue possible.
J'ai adoré ce livre, cela va sans dire, et je voudrais souligner l'impeccable lecture qu'en fait Clotilde Courau. Entre douceur et tension, gravité mais sans excès, sa voix parfaitement posée, (pas monotone comme j'ai pu lire ici ou là, je dis bien posée !) si agréable à entendre, magnifie le roman de Leila Slimani. D'un livre excellent elle fait un chef-d'oeuvre qu'on a bien du mal à lâcher. Je suis ravie de mon choix ! Merci à elle d'avoir su porter aussi bien les mots de l'auteure.
"Paul et Myriam sont séduits par Louise, par ses traits lisses, son sourire franc, ses lèvres qui ne tremblent pas. Elle semble imperturbable. Elle a le regard d'une femme qui peut tout entendre et tout pardonner. Son visage est comme une mer paisible, dont personne ne pourrait soupçonner les abysses"
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