Pas pleurer- Lydie Salvayre
"Ce soir, je l'écoute encore remuer les cendres de sa jeunesse perdue et je vois son visage s'animer, comme si toute sa joie de vivre s'était ramassée en ces quelques jours de l'été 36 dans la grande ville espagnole, et comme si, pour elle, le cours du temps s'était arrêté calle Saint Martin le 13 août 1936 à 8 heures du matin."
Montse, qui est aujourd'hui une femme âgée, à la mémoire défaillante, raconte à sa fille Lydie le merveilleux été 36 de ses quinze ans, inoubliable celui-là, en Espagne. La guerre civile fait rage, mais l'évocation de Montse n'en est pas moins radieuse, contrepoint parfait du témoignage atroce qu'en fait l'écrivain Georges Bernanos dans "Les grands cimetières sous la lune".
Je découvre le très beau roman de Lydie Salvayre trois ans après son prix Goncourt,encore un train de retard, mais il n'est pas jamais trop tard mon cher Gaspard roman où trois récits de la guerre d'Espagne s'entremêlent. Il y a celui de Montse, dans sa langue incroyable,"le fragnol", celui poignant de Bernanos, et le reportage glaçant et objectif des évènements, narré par une Lydie Salvayre historienne et fort bien documentée.
J'ai beaucoup aimé : tout. La langue inimitable et totalement débridée de Montse, à nouveau ivre d'amour et de jeunesse lorsqu'elle livre ses souvenirs, -Quelle voix, cette Montse !- les nombreuses anacoluthes déconcertantes (parfaite réussite !) l'intrigue rondement menée (la haine entre José et Diego, dont on devine qu'elle aboutira au drame, le mystère de la naissance de Diego, l'amour fou de Montse pour le français de passage), la peinture de l'enfer sous l'Espagne franquiste, d'un réalisme terrible et bouleversant.
"Pas pleurer" convoque avec brio toutes sortes d'émotions, portées chacune à leur paroxysme : peur, haine, envie, dégoût, amour... Les personnages sont beaux, totalement romanesques, ne connaissent pas la mesure. Ils sont prêts à sacrifier leur vie pour leurs idéaux, amoureux transis, ennemis jusqu'à la mort... j'ai regretté vivement ma lecture hachée de ce livre vibrant et passionnant -pour diverses raisons-. J'aurais aimé pouvoir le lire d'une seule traite tant il est rythmé en diable, à la fois douloureux et empli d'allégresse.
Un prix Goncourt amplement mérité !
"Ne persiste en sa mémoire que cet été 36, où la vie où l’amour la prirent à bras-le-corps, cet été où elle eut l’impression d’exister pleinement et en accord avec le monde, cet été de jeunesse totale comme eût dit Pasolini et à l’ombre duquel elle vécut peut-être le restant de ses jours, cet été qu’elle a, je présume, rétrospectivement embelli, dont elle a, je présume, recréé la légende pour mieux combattre ses regrets à moins que ce ne soit pour mieux me plaire, cet été radieux que j’ai mis en sûreté dans ces lignes puisque les livres sont faits, aussi, pour cela."