La pendue de Londres- Didier Decoin
"C’est comme ça qu’elle va réussir sa vie – au fond c’est si facile : juste faire rêver les hommes, et on s’élève, petit nuage rose, potelé, frémissant, au-dessus de la multitude des autres femmes, au-dessus des quelconques, des pâles, des usées, des médiocres vêtues de noir comme sa mère Bertha."
Ruth Ellis est une très jolie femme que le malheur poursuit. Son père abuse d'elle alors qu'elle est toute jeunette. Plus tard, elle s'amourrache d'un homme qui l'abandonne après l'avoir mise enceinte. Ruth se prostitue, rencontre quelques bonhommes qui, elle l'espère, changeront sa vie. Hélas, ce ne sont que de beaux salauds qui profitent d'elle et la maltraitent... Un dentiste alcoolique et violent, un pilote automobile dont elle tombe éperdument amoureuse, qui lui prend son argent et la bat lui aussi comme plâtre. Le plus triste, c'est que Ruth y croit, au bonheur qui l'attend au bout du chemin. Elle y croit désespérément, malgré les humiliations et les coups, jusqu'au jour où elle surprend son amant avec une autre. Elle le tue, et est condamnée à être pendue.
De cette histoire vraie, qui suscita une vive émotion en Angleterre dans les années 50 et changea même la destinée du bourreau de Sa Majesté, Albert Pierrepoint -il aurait démissionné après l'exécution de Ruth- Didier Decoin tire un magnifique roman, cruel et passionnant. Voilà une lecture qu'on ne peut oublier sitôt la dernière page tournée. La mienne date des vacances de Pâques, j'ai traîné pour rédiger ma chronique et je m'aperçois que le souvenir est toujours aussi fort, pourtant j'ai lu plein de choses depuis, mais la blonde Ruth Ellis est restée là, quelque part...
L'auteur alterne le point de vue du bourreau, dont la répugnance à exécuter des femmes n'entame pourtant pas la détermination (jusqu'à sa rencontre avec Ruth), et l'histoire de Ruth, racontée au présent, dont le lecteur suit pas à pas le destin tragique. Decoin est un formidable conteur, à l'écriture alerte, à la fois distanciée et empathique. "La pendue de Londres" est un livre saisissant, un livre d'atmosphère, entre ombre et lumière, et Ruth Ellis un très beau personnage de roman, terriblement attachant, même si son aveuglement a de quoi mettre en rage. On aurait aimé pour elle un destin différent, même si tout est plié dès le départ... les chapitres consacrés à Albert Pierrepoint, monolithique et loyal serviteur de la reine, son évolution psychologique jusqu'à son ultime exécution, sont tout aussi passionnants et bien menés. "La pendue de Londres" est aussi et surtout un magnifique roman noir, dont la tension et le suspense sont maintenus de la première et dernière ligne (alors qu'on connaît la fin, je trouve ça très fort !)
Une grande réussite !
"La rapidité a toujours été pour moi une véritable obsession. Puisque le prisonnier doit mourir, que c'était irrémédiable, lui donner une mort instantanée, sans douleur, et surtout sans lui laisser le temps de ruminer ce qui allait lui arriver, était bien le moins que je puisse faire en tant qu'être humain".