Lafon_Joseph

"Au moment des repas les pantoufles de Joseph glissent sur le carrelage luisant et marron ; Joseph ne laisse pas de trace ne fait pas de bruit. Il s’applique aussi à ne pas sentir, il a appris en vieillissant ; dans sa jeunesse, on faisait moins attention à ces choses"

Il fallait entendre Marie-Hélène Lafon dans la Grande Librairie l'autre jour évoquer son "Joseph". Convaincue et convaincante, elle l'était... de quoi donner envie de se précipiter sur ce roman, ce que j'ai fait (ma liseuse est toujours près de moi pendant LGL...)

Joseph est ouvrier agricole dans le Cantal. C'est un homme simple, peu, très peu bavard, mais qui voit tout. Joseph regarde et se tait. Il est aussi la mémoire vive des choses et des gens, dans les fermes où il travaille. Une mémoire pleine de dates et de chiffres. Cet homme discret qui a souffert, aimé, vu sa mère mourir et son frère partir vers la ville pour monter un commerce et fonder une famille, n'a jamais, quant à lui, "fait maison" pour reprendre la jolie expression de son patron. Il a cru cela possible, un temps, avec Sylvie, mais ça n'a pas marché. Joseph a alors sombré dans l'alcool. Aujourd'hui, il est sobre. Il est serein.

Il sait qu'il mourra probablement seul, en maison de retraite. Il s'y prépare sagement. Avec Joseph, c'est tout un monde qui disparaîtra, une ruralité de plus en plus marginale et décalée, à l'heure d'internet et des machines, que notre ouvrier agricole regarde en silence mais avec circonspection...

 Tout cela n'est pas bien gai. Néanmoins, si Joseph ne pratique pas la danse de la joie toute la journée, Marie-Hélène Lafon n'en fait pas non plus un personnage larmoyant. Il a vu des choses terribles, en a vécu lui-même, mais ce "coeur simple" (la référence à Flaubert est explicite, on croise dans "Joseph" une Félicité, un perroquet, la ville de Croisset...) est sans amertume. La fin du roman, d'une infinie douceur, contraste avec la rudesse d'une existence qui s'est déroulée dans l'ombre...

 Malgré toutes ses qualités, j'ai quand même eu du mal à rentrer dans le livre. Les premières pages m'ont paru austères et pour tout dire un peu ennuyeuses. Mais j'ai insisté et j'ai eu raison : la langue de Marie-Hélène Lafon malgré sa rugosité, est d'une grande beauté, puissante, précise et poétique, pour peu qu'on s'y attarde, qu'on prenne le temps de relire certains passages( à haute voix, c'est mieux, la musicalité des phrases est telle...). Il y a de ces trouvailles ! Ceci par exemple : "il reste au bord, il s'abstient. Il pense des choses à l'abri de sa peau, tranquille, on ne le débusquera pas." (magnifique !) ou encore : " Elle avait regardé Joseph aux yeux, il avait eu chaud jusqu'au fond des os"

Quant au personnage de Joseph, il est touchant, vrai. La description si juste, si posée, mais sans fards, de cette ruralité finissante fait sûrement de ce roman l'un des plus originaux de cette rentrée littéraire mouvementée et un peu brutale, à mon avis.