Beau parleur-Jesse Kellerman

20 août 2014

Un thriller américain acheté sur une impulsion (impulsion sors de ce corps, tu me ruines...), dont on n'attend rien du tout (c'est bien connu les polars et thrillers me déçoivent très souvent, alors pourquoi est-ce-que je continue à en acheter, that is the question) et qui finalement se révèle plutôt bon. Dans le jargon, on parle de page-turner et celui-ci en est un, je trouve.

Joseph Geist est étudiant depuis très trop longtemps. Sa thèse de philosophie n'avance plus d'un pouce, sa fiancée l'a fichu à la porte. Il n'a pas de veine, c'est le moins qu'on puisse dire, mais on a du mal à le plaindre, tant il est geignard et peu sympathique. Joseph cherche un job qui n'en soit pas un, une activité à la fois lucrative et à sa hauteur. Car en plus il se la raconte... La chance va tourner dans le bon sens lorsqu'il répond à une singulière annonce. Alma Spielmann, une délicieuse, riche et très cultivée dame de quatre-vingt-six ans, recherche quelqu'un pour lui faire la conversation. Pour ce beau parleur de Joseph, (il parle, il parle...) ce travail se révèle idéal. Une affection sincère va naître entre Joseph et Alma, et celle-ci va bientôt proposer le gîte et le couvert à notre étudiant. Tout se passe formidablement bien, jusqu'à l'arrivée -tardive- du neveu d'Alma, Eric...

Etonnant roman qui ne devient thriller qu'après une longue partie consacrée à l'histoire de Joseph, à sa famille, à son amitié pour Alma, à leurs échanges. Atmosphère paisible, pas le moindre soupçon d'inquiétude ou le plus petit frisson à l'horizon. On pourrait s'impatienter, demander à être remboursé, abandonner cette lecture totalement non-frissonnante en criant au scandale... Eh bien non, on lit, on s'intéresse à Joseph, à Alma, à leur relation, à la réflexion sous-jacente sur la liberté et libre-arbitre (qui prend tout son sens dans la seconde partie du roman), on se demande où cette absence de frisson va nous mener... Jusqu'au moment où ça bascule. Je ne peux guère en dire plus, mais tout cela est très bien mené, le frisson est bien là, rien de ce que je pressentais n'est arrivé et la quatrième de couverture ouvre une piste qui est fausse. Pour une fois, je dirai tant mieux. Je me suis fait balader, et malgré une fin ratée (on ne peut pas tout avoir, et je crois avoir renoncé à trouver une fin de roman satisfaisante...), je me suis régalée. L'écriture est soignée, et la traduction ne se sent pas.(Dommage, tout de même, que parfois Alma devient Aima sans rime ni raison, ce genre de détails m'irrite...) J'ai apprécié que la bascule se traduise aussi par un changement de pronom personnel, que le "vous" remplace habilement le "je", à un moment bien précis du récit, marquant ainsi une évolution très nette du personnage principal.

J'ai aimé, j'ai lu ce roman en deux petits jours, ça se fête ! Allez, je reprendrais bien un p'tit thriller, puisque je suis en veine ...

La question du libre arbitre est aussi vieille que la philosophie elle-même, et le débat toujours aussi féroce qu'il l'était il y a deux mille ans. Et même davantage, peut-être, car tandis que notre monde devient de plus en plus connu, quantifié, mécanisé et contraint - l'emprise de la technologie sur nous plus forte de jour en jour, la science lissant les contours de la réalité -, les gens semblent proportionnellement avides de prouver que les êtres humains sont l'exception à la règle et que nous ne sommes pas préprogrammés mais libres.

D'autres avis chez Liliba, Stephie, Antigone