Les sortilèges du cap Cod- Richard Russo
Mon premier Richard Russo.
Que du bonheur ! Voilà un bouquin qui a su me réveiller, alors que je roupillais sur mes livres depuis quelques semaines. Un réveil tout en douceur. Russo ne m'a pas braillé dans l'oreille, il m'a secouée gentiment... Avec son écriture limpide, son humour caustique et tendre, sa finesse, ce bouquin m'a captivée, sans aucun effet de manche. Il fait dans l'humain, si je puis dire, comme les américains savent si bien le faire, avec leurs histoires d'intellectuels à l'heure des bilans. ça sonne vrai, c'est émouvant, drôle, ça donne à réfléchir. J'adore.
Ici, nous avons Jack Griffin, ancien prof, écrivain pour le cinéma. La meilleure amie de sa fille Laura se marie. Un an après, c'est au tour de Laura. Entre les deux mariages, il y a le sien, qui se met à battre sérieusement de l'aile. Et dans le coffre de sa voiture, les cendres de son père. Griffin cherche l'endroit idéal pour les disperser. A cap Cod, peut-être, où Griffin passa ses vacances en famille lorsqu'il était gamin? Cap Cod que ses parents aimaient, loin de leur "Midwest de merde"?
Parlons-en des parents de Griffin. Ils sont odieux. Snobs. Jamais satisfaits, entièrement occcupés d'eux-mêmes, incapables de témoigner de l'amour à leur fils. (le petit garçon qu'on oublie sous le sapin m'a un peu serré la gorge...) Forcément, ça laisse des traces. L'aigreur, le désenchantement, le sentiment d'échec, ça se transmet? On peut se poser la question, quand on connaît Griffin. La soixantaine pas super tonique... tristounet, accablé par moments. Mais je l'aime bien. Il est attachant, ce bonhomme.
Une quantité d'autres personnages gravite autour de Griffin. Touchants, lumineux, drôles ou affreux. Comme dans la vie, on trouve de tout dans ce roman. Et l'amour dans tout ça? Il est partout. L'amour qui se casse la figure, celui qu'on n'ose pas dire et qui vous passe sous le nez, (quel beau personnage que Sunny...) celui qui résiste vaillamment, celui auquel on s'accroche même s'il ne ressemble plus à rien, celui qui n'en a pas l'air mais qui en est ... et le sacro saint amour filial, celui qu'on ne remet jamais, jamais, jamais en question. Et pourquoi pas?
Vous l'aurez compris, ce livre aborde un tas de questions, de bonnes et graves questions. ça pourrait être plombant, mais pas du tout. Richard Russo n'oublie jamais de faire sourire, même quand il évoque la mort, les liens qui se dissolvent avec le temps, la vieillesse...
On sourit, on est ému.
Lisez-le :)
Extraits :
"Pour Griffin, qui avait maintenant cinquante-sept ans - à peu près l'âge de ses parents lorsqu'il avait épousé Joy -, les noms de localités du cap avaient gardé toute leur magie : Falmouth, Woods Hole, Barnstable, Dennis, Orleans, Harwich. Ces toponymes le ramenaient à son enfance, au siège arrière de la voiture familiale, où il avait passé une bonne partie de sa jeunesse, sans ceinture, les bras posés sur les sièges avant, à tendre l'oreille pour attraper des bribes de ce qu'ils se disaient sans jamais essayer de l'inclure dans leurs conversations."
***
"Après qu'un autre semi-remorque l'eut dépassé dans un bruit assourdissant, une odeur infecte parvint à ses narines, et il se demanda ce que pouvait bien transporter ce camion. Ce n'est qu'au moment de tourner la clé dans le contact qu'il vit la grosse coulure blanche et visqueuse sur la manche de sa chemise. La mouette lui avait chié dessus !
Sa mère avait fait de lui une cible immobile : le résultat était là."
Challenge de Sharon