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Aux Bouquins Garnis
15 avril 2012

"Six mois, six jours"- Karine Tuil

imagesCe livre est un gros coup de coeur, une belle surprise choisie au hasard pour un rendez-vous que j'adore chez Calypso. Un livre passionnant, fascinant, et qui une fois encore, donne une leçon d'écriture, du genre grosse claque... Non je ne suis pas jalouse, juste subjuguée devant une telle maîtrise du sujet et de la langue... une claque, je vous dis.

Que je vous raconte.

Karl Fritz a été l'homme à tout faire des Kant, pendant plus de quarante ans, avant d'être liencié. Il décide d'écrire un livre sur cette très riche famille allemande et révèle à une journaliste, au cours d'une confession violente et fiévreuse, le passé plus que trouble de cette famille.

Juliana, la fille des Kant, mal mariée, est tombée follement amoureuse d'un gigolo maître chanteur. Mais cette liaison n'est que la partie émergée de l'iceberg. Elle va mettre en lumière les activités industrielles des Kant sous le Reich, et les liens de Magda Goebbels avec le grand-père Kant, dont elle fut la première épouse. Elle nous apprend que Magda, pour épouser Kant, a renié un père adoptif qui l'adorait, parce qu'il était juif... 

Karine Tuil fait dire à Karl Fritz : "vous écrirez pour dire ce qui vous échappe, ce qui est irreprésentable, ce qui est perdu. Ecrivez ! Et soyez infidèle aux faits- les reconstitutions sont l'affaire de la police, pas des écrivains. "C'est ce qu'elle fait dans ce roman, mêlant fiction et réalité, évènements historiques et romanesques, de façon tellement brillante que l'on finit par ne plus se demander ce qui est vrai ou pas dans ce récit. Finalement, peu importe. On est embarqué, c'est tout, dans l'histoire de ces gens, "qui ont une faille, ne riez pas, le talon d'achille des Kant, c'est le désir sexuel. Placez un Kant dans un lit et vous obtiendez un scandale, une bombe, un retournement historique, une guerre, un crime contre l'humanité. Le lit des Kant est devenu le théâtre de toutes les opérations humaines. Dans leur lit, le monde jouit et meurt." (p. 86)

 Le désir sexuel, la séduction, "la conquête amoureuse" pour reprendre les mots de Bernard Pivot (dixit la quatrième de couverture) sont bien au coeur de "Six mois, six jours". L'amour surtout.  Celui de Juliana pour Braun, celui de Auguste et du père de Magda, tourmenté, destructeur, celui d'un père pour sa fille, devenue un monstre de froideur et d'ambition... A ce propos, Karine Tuil nous offre des pages tellement sublimes que j'ai eu vraiment beaucoup de mal à choisir un passage en particulier. J'ai souligné, souligné... J'ai fini par choisir celui-là, une seule longue phrase, aussi haletante que la femme qu'elle décrit. Lisez comme c'est beau :

Dans l'anonymat d'une chambre d'hôtel, l'une des femmes les plus puissantes d'Allemagne se donna à un homme dont elle ne savait rien, qu'elle n'avait vu que deux fois dans sa vie, et qu'elle avait pourtant suivi sans lui poser aucune question, sans avoir obtenu le moindre renseignement, ignorante, inconsciente, sans résistance, violant nos impératifs sécuritaires, sa morale personnelle, ses convictions, elle l'avait suivi parce qu'elle ne pouvait pas lui dire "non", mot abscons, imprononçable, qui limite et qui restreint, elle avait perdu tout contrôle, toute capacité de jugement, elle était une proie, une poupée de chiffon, une chose molle et sans volonté entièrement commandée par sa matrice, elle était cette femme qui capitulait sans avoir été torturée, violentée, elle se rendait, se soumettait avec une jubilation nouvelle, une excitation guerrière, elle était une machine à aimer, qui hurlait, haletait, et sa voix était un gémissement, un soupir qui gonflait, elle était cette femme résignée, égrotante, à genoux devant lui comme devant un prie-dieu, cherchant la protection, réclamant la servitude, inféodée au pouvoir d'un dieu étranger, cette femme qui traînait à terre, nue, hirsute, écheveléee- voilà pourquoi je déteste l'amour: les papillons redeviennent des larves". (p.83)

L'amour n'est jamais loin du désamour. Juliana humiliée par son amant, indifférente à son mari réduit à un "associé procréateur", Auguste et son mari dont le mariage tourne à la détestation, Karl Fritz rejeté par une famille à qui il a tout donné, Magda qui se détourne sans remords d'un père qui l'aime follement... Les dernières pages du roman, lettre-confession de Friedländer, sont parmi les plus déchirantes que j'ai pu lire :

"J'espérais que Magda interviendrait, qu'elle stopperait la folie meurtière de son mari en effaçant mon nom du livre de la mort, qu'elle ressurgirait dans ma vie pour y  reprendre sa place car j'avais été son père, un père aimant et protecteur, un père qu'elle avait renié, oublié, sous la pression d'un homme, par aveuglement politique, et en quoi, me demandais-je, en quoi hurlais-je, ma judéité altérait-elle mon amour pour elle?" (253)

Sublime. Sublime. Sublime. Si vous trouvez que j'en fais trop, lisez ce livre. On en reparle :-)

Un-mot-des-titres

 

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Commentaires
U
Merci ! Si tu le lis un jour, j'aimerais savoir si tu as aimé !
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J
superbe billet, je note ! les extraits sont très beaux...et très tentants !
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U
Aifelle : tu ne devrais pas regretter cette lecture ! :)
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A
Je l'ai déjà repéré, le thème m'intéresse. Je le note, surtout s'il est maintenant en poche.
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U
Tu as le droit :-) pour moi c'est un grand livre. Bises!
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