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Dans une société de la survie permanente et de l'exploitation éhontée, la recherche du bonheur est un acte politique.

La jeune Lucine est de retour à Port-au-Prince, porteuse d'une triste nouvelle. Cette ville où elle fut étudiante et opposante au régime d'Aristide, la jeune femme l'a quittée à regrets des années plus tôt. Aujourd'hui, elle ne veut plus en partir, se prenant à rêver d'une nouvelle vie où l'amour aurait enfin sa place. Le tremblement de terre va hélas bouleverser son existence et celle de tout un peuple...

Dans ce beau roman, Laurent Gaudé met comme souvent sa plume vibrante et poétique au service des humbles, fracassés par un destin vengeur. Ici le séisme qui frappa Haïti en 2010, ailleurs l'ouragan Katrina... Autour de Lucine, gravite une cohorte de personnages attachants, au caractère bien trempé : la petite Lily, malade et décidée à mourir en terre haïtienne, sa mère, la terrible Viviane, qui devant l'ampleur du désastre fendra enfin l'armure et saura faire preuve d'humanité ou encore (et surtout!) Dame Petite, au courage insensé, dont la voix puissante s'élève à la fin du livre, après toute une vie de silence: « les morts ne peuvent rester ici pour éviter aux vivants de pleurer.(…) Suffit les morts !» et tous les autres, Saul, Sénèque... Les personnages de Gaudé, le lecteur s'y attache immanquablement, tant ils sont touchants et vrais. 

Le lyrisme de son écriture (jusque dans les dialogues, et là ça pêche un peu par manque de naturel, mais bon, on pardonne, le reste est sans défauts) pourrait paraître en décalage avec l'âpreté du sujet, il n'en est rien. Quand Gaudé décrit la terre qui tremble, c'est juste magistral ! Il y a du Hugo là dedans, mais oui ! Même empathie pour les petites gens soumis à la force des éléments, même volonté de dénoncer le contraste insupportable entre la misère des uns et la richesse des autres, même veine mystique qui ici s'affranchit des limites en abolissant la frontière entre le monde des morts et celui des vivants. La fin est splendide et saisissante, comme une cerise sur un gâteau déjà parfait. 

Magnifique !

Je suis Dame Petite. Le plus souvent, je reste muette parce que le monde n’a pas besoin de mes mots. Ce que j’ai à faire, je le fais en silence. J’écoute. J’écoute tout le temps. Les poissons que je lave dans la bassine à l’eau légèrement rougie par le sang me parlent. Les feuilles qui bougent dans le vent me parlent. J’écoute. Et je vous le dis : les âmes courent. Le chant des coqs n’est plus le même depuis le tremblement. Tout est faille et poussière blanche. Le monde a changé.