"Ouatann"- Azza Filali
Voilà un beau roman que je n'aurais pas sans doute pas lu si Philisine n'avait pas eu la gentillesse de me le prêter. ça aurait été dommage de passer à côté... on n'est pas loin du coup de coeur en ce qui me concerne. Merci mille fois ma copinaute !
2008. La Tunisie, le soleil, la mer... les apparences, pourtant très belles, sont trompeuses. La jeunesse, privée d'espoir, d'avenir, traîne son mal de vivre dans un pays où la corruption règne en maître. C'est une Tunisie sans fard que nous montre Azza Filali dans ce roman où vont se croiser Michkat, une avocate divorcée, Rached, un fonctionnaire avide d'argent, et Naceur, ingénieur au lourd passé. Au coeur du récit, la maison du père de Michkat, à Bizerte. Elle va servir de refuge à Naceur, placé sous la surveillance de Rached. On découvre peu à peu le pourquoi de cette protection rapprochée et le suspense, maintenu pendant une bonne partie du roman, est digne du meilleur policier. Si j'en disais plus, j'en dirais trop, je m'arrête donc là pour le résumé.
J'ai été happée par cette histoire dès les premières lignes, sûrement grâce à une narration au présent et à la première personne extrêmement vivante (pour les chapitres Michkat) en alternance avec des chapitres au passé, tout aussi dynamiques. Ce n'est pas tout. La réussite de ce roman tient pour une grande part dans ses personnages, à la fois troublants, horripilants et touchants. Mansour, Lahzar, Abderrazak, Achraf... ils sont nombreux à évoluer autour du trio Rached/ Naceur/Michkat. L'auteur se garde bien de leur coller une étiquette, comme dans la vie, les choses ne sont pas si simples. Il s'attache à montrer à quel point la perte des valeurs, la pauvreté, l'absence d'espérance peuvent conduire au pire chez des êtres pas forcément pourris au départ... Rached et surtout le petit Achraf en feront l'amère expérience.
Les évènements qui ont secoué le pays en 2011 prennent tout leur sens à la lecture de ce roman. On en sort ému et admiratif : Azza Filali dit tant de choses essentielles sans négliger une seule seconde le romanesque... Bravo.
"Qui te parle d'être humain? Regarde autour de toi ! Où vois-tu des êtres humains? (...) J'ai longtemps rêvé d'ouvrir une épicerie, mais mon père était pauvre(...) un jour je suis allé à Bizerte, on disait que le gouverneur accordait des prêts pour réaliser de petits projets. J'ai été reçu par un responsable qui m'a demandé si j'étais envoyé par Si Béchir, j'ai répondu que je n'étais envoyé par personne, alors il m'a dit d'inscrire mon nom dans un registre., on me convoquerait lorsque mon tour viendrait. C'était il y a trente ans, mon tour n'est pas encore arrivé." (p. 363)
L'avis de Philisine ici, celui de Zazy là.