Soeur- Abel Quentin
"Elle aime l’idée d’un organe qui sécrète la haine, comme une glande. La violence est une libération"
C'est l'histoire de Jenny, une lycéenne provinciale, introvertie, mal dans sa peau, qu'une rebuffade sentimentale reçue en pleine face et largement diffusée sur les réseaux sociaux va faire basculer dans un radicalisme sans retour, sans ambages. Jenny devenue Chafia, convertie à l'islam en quelques clics, sous la houlette de la fielleuse Dounia, a désormais pour obsession de détruire son ennemi le mécréant, au nom d'un Dieu tout juste débarqué dans sa vie et bien mal digéré...
C'est aussi l'histoire de Saint Maxens, un président de la république vieillissant qui finit son mandat sans gloire. Deux mondes qui ne sont pas amenés à se croiser. Sauf que si.
Quel livre, mazette ! L'énergie, la rage, la justesse avec laquelle le récit est mené sans se casser la figure une seule seconde (ce serait facile avec un sujet aussi brûlant d'actualité, d'y aller à fond dans le cliché, la caricature, le trop ou le pas assez... ) sont absolument surprenantes pour une première fois. Roman d'un écrivain débutant, dites-vous? Il faut être un jeune auteur bien talentueux pour réussir aussi bien du premier coup !
La plume est audacieuse, incisive, le mot juste et cinglant. La dérision n'est pourtant jamais loin -et parvient même à arracher au lecteur quelques sourires- malgré la lourdeur du sujet : l'univers morbide et fantasmé de Jenny-Chafia est sans cesse comparé à celui d'Harry Potter, ce héros qui l'accompagne jusqu'à la tragédie.
Jenny était une adolescente comme les autres, un peu plus fragile que les autres peut-être, et l'auteur s'attache à montrer à quel point le piège qui s'est refermé sur elle est savamment orchestré autour de son mal-être : la feinte solidarité, la flatterie, la désignation de responsables dont il faut se venger, la promesse d'un nouveau monde, la mécanique de l'endoctrinement est excellement démonté. C'est limpide et terrifiant.
Un très très bon premier roman, fort et rythmé, qui a les allures d'une oeuvre d'auteur rompu à l'exercice littéraire. Lu dans un souffle. Epatant.
Pour moi un vrai coup de coeur (en 2020, je mets mes coups de coeur en rouge carmin, surtout pour la rime :))
"Le soir, ce sont des séances de lecture solitaire, entre quatre murs saturés de posters. Harry Potter y fraye avec ses amis Ron Weasley et Hermione Granger, sous le chaperonnage inquiet de sir Albus Dumbledore, directeur de l’école de sorcellerie et ennemi juré du sinistre Voldemort. Leurs combats épiques étouffent le bruit de ses sanglots. Elle regarde les autres rouler leurs premières pelles au bal du 13 juillet. On l’y invite rarement, elle la trouble-fête perpétuellement dégrisée – mais dégrisée d’aucune fête. Son regard, trop dur, est celui d’une petite vieille."