Le principe- Jérôme Ferrari
"Ils ne doutent jamais de leur propre importance".
Werner Heisenberg, physicien, prix Nobel 1932, est l'un des fondateurs de la mécanique quantique, et plus précisément du principe d'incertitude ou d'indétermination. (pour en savoir plus sur cet obscur et vaste sujet que je serais bien en peine de développer, cliquez ici).
Dans ce court roman, un jeune étudiant en philosophie (probable avatar de l'auteur), médite autour de ce personnage génial et ambigu que fut Heisenberg, à qui il doit "la plus cuisante humiliation de sa vie" après un examen oral particulièrement raté. Cette évocation de 161 pages, adressée au physicien lui-même, (en parallèle avec la vie du narrateur en 1995) a bien failli me laisser au bord de la route.
Je dis bien "failli".
Encore une fois, ma lecture se déroule en plusieurs phases : dès les premières lignes, je suis totalement séduite par l'écriture. Je découvre un auteur qui écrit comme il respire, et ça, c'est pas tous les jours. Je me dis que je tiens à coup sûr un chef-d'oeuvre... Puis ça se complique, devient abscons, irritant, je lis et relis les paragraphes sans comprendre. Je regarde sur Internet, l'histoire de la vitesse etc. Mouais. Mon mari tente de m'expliquer le principe avec ses mots à lui. En général, ça marche bien, quand il m'explique les choses. Mais bon, là, c'est pas super clair quand même. Mon Poupouce m'appelle. Je laisse tomber pour un moment. J'y reviens dix minutes plus tard. Je reprends ma lecture. Je suis à nouveau interrompue. (ou je m'interromps moi-même, quand j'ai du mal avec quelque chose, tous les prétextes sont bons pour lâcher) Je reviens...
Et là je dis non. Cette lecture, tu l'attends depuis longtemps, alors ne va pas te la gâcher.
Tu vas tout reprendre depuis le début. Le principe d'incertitude, tu ne le comprends pas, mais on s'en fout, ce n'est pas le plus important (Même François Busnel, à la Grande Librairie, avait l'air dépassé...). Et puis, tiens, tu vas lire à haute voix, (enfin à mi-voix) pour voir ce que ça donne. Je m'enferme dans la cuisine. Et je lis.
Soudain, c'est magique. Un truc se passe... le fameux "décroché dans la poitrine" dont on parle si bien, ici :)
Captivant, poétique, tragique.
Au delà de l'exploit qui consiste à rendre passionnant un sujet aussi effrayant, il est quand même pas mal question de physique quantique (eh oui, âmes sensibles il serait pourtant bien dommage de passer votre chemin), d'atomes, d'électrons, de la guerre, d'un monde en déliquescence, du mal absolu, de la nécessité de faire des choix qui seront lourds de conséquences (rester, partir, cautionner, résister...) il est aussi question de la beauté, de la beauté qui demeure encore et toujours, malgré l'horreur.
Il y a surtout la langue de Jérôme Ferrari, qui est la beauté même. Une langue qui donne envie de tomber à genoux. Rien que ça. Je n'ai pas lu tout le roman à haute voix, mais de nombreux passages, que j'ai lu et relu pour moi-même avec délectation. Une écriture encore plus magnifique à entendre qu'à lire, si c'est possible. Mention spéciale aux fins de chapitres, ah là là ...( indescriptible, alors juste ah là là ...)
"(...) Les vrais morts de la bombe ont disparu sans laisser d'eux aucune trace sauf, peut-être, une vague silhouette claire sur un mur calciné, figée dans l'instant de la révélation; le coeur d'uranium a battu tout près du leur, ils ont communié avec le fond des choses et sont revenus d'un seul coup, sans efforts inutiles, sans étapes superflues, à la substance commune qui les compose et qui au fond, comme cette silhouette, comme leur souvenir, comme eux-mêmes, n'est rien."
Merci à Phili, Jérôme, Hélène, mes partenaires pour cette éblouissante lecture commune.
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Année faste pour moi : trois pépites à ce jour :)
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