"Paris-Brest"-Tanguy Viel
Je suis tombée dans le (dernier?) roman de Tanguy Viel et je ne l'ai pas lâché. Terminé en quelque heures, il m'a fait revenir sur l'opinion que j'avais des livres publiés aux Editions de Minuit. Illisibles et barbants...
"Paris-Brest" n'est ni l'un ni l'autre. On y parle un peu de Brest, mais surtout d'héritage, de secrets, d'un vol tout à fait odieux, d'une famille qui a un drôle de rapport à l'argent, d'amitié dangereuse, et d'un livre (celui du narrateur) qui menace de mettre cette famille en pièces... Tout cela peut sembler banal mais devient fort intéressant lorsque c'est Tanguy Viel qui le raconte, avec une ironie et un humour glacé qui font mouche. Entre autres bizarreries familiales, la mère de Louis, le narrateur, ne se promène jamais sans son sac en plastique, pour y enfoncer la tête quand elle sent l'héritage lui échapper en cas de crise de panique. Pas vraiment drôle, dit comme ça, et pourtant si. Quant au père, responsable de la ruine du football-club de Brest, il n'est pas mal non plus... Et je ne vous parle pas de la grand-mère, dont la fortune colossale, grâce à son union tardive et intéressée avec un certain Albert, suscite toutes les convoitises...
La fin de l'histoire est un peu torchée expédiée, pas très éclairante, il faut le dire, mais cela ne m'a pas vraiment dérangée ici, parce que je commence à avoir l'habitude des fins qui n'en sont pas, -c'est une mode, ça passera peut-être- et surtout parce qu'il y a le style de Tanguy Viel. On pardonne beaucoup de choses à quelqu'un qui possède une telle"voix".
Quel style ! Ensorcelant est le mot. Avec sa syntaxe surprenante, ses longues phrases, ponctuées de virgules, qui s'étirent, s'enchaînent, se répètent parfois, tel un refrain, l'écriture de Tanguy Viel est une musique, au tempo singulier et fascinant. "Paris-Brest" est un texte qui se lit à voix haute, un roman à écouter peut-être. J'espère qu'il existe une version audio* ...
*J'ai cherché, je n'ai pas trouvé :-(
"Ce jour-là, je m'en souviens, la tête plongée dans l'assiette en porcelaine je me suis seulement dit: ne lève pas les yeux sur elle, si tu lèves les yeux une seule fois c'est foutu, si tu la regardes maintenant, toi aussi tu seras un satellite pour toute ta vie. Et replié au fond du gouffre en moi, j'ai juste entendu, comme une fusée qui traversait la pièce, j'ai entendu la voix de ma grand-mère à côté de moi qui ajoutait: tu parles de nous en bien, j'espère.
Ensuite il y a eu du silence encore et des paroles normales. Il y a eu mon frère qui ne savait pas où se mettre puis des conversations déviées et du silence toujours. Il y a eu la pluie à Brest et les prix des loyers. Il y a eu les cuillères cognées contre la porcelaine. Mais sur la table au-dessus de nous, outre la mer dehors et les vieux meubles qui pliaient sous nos regards, il y avait cette expression devenue presque sale, comme un nuage de pluie qui se serait maintenu: des choses sur nous. Et dans le tourbillon noir des tasses en porcelaine, on aurait dit que chacun, à la surface mouvante de son café, que chacun désormais lisait des choses sur lui."
Et un de plus pour Sharon et son challenge "Histoire de famille":
Emprunté à la médiathèque
Je vous invite à aller lire la double chronique de ma copine Phili ici !