"Fièvre romaine"- Edith Wharton
Je poursuis ma découverte de de ce grand écrivain qu'est Edith Wharton par un autre recueil de nouvelles et mon enthousiasme ne faiblit pas, bien au contraire. Les sept nouvelles qui composent "Fièvre romaine" sont au moins aussi bonnes, peut-être même meilleures que celles du précédent recueil chroniqué là. L'écriture y est toujours aussi parfaite, élégante, accessible sans être facile, les portraits de femmes toujours aussi intelligents et subtils. Le challenge de George consacré à l'auteur propose de mettre en valeur une héroïne de Warthon, mais plusieurs ici méritent qu'on s'y attarde.
Le problème majeur que rencontrent les femmes de ces nouvelles réside encore et toujours dans le carcan social qui leur est imposé. Malheur à celles qui tentent d'y échapper ! Leila Lindcote est divorcée, comme sa mère des années plus tôt. ("Autres temps") Les moeurs ont changé, peut-être, se dit Mrs Lindcote. Le divorce n'a plus la couleur du scandale, sa fille ne semble pas mise au ban de la société... Mrs Lindcote sera t-elle pour autant réhabilitée? Rien n'est moins simple... tout comme le mariage arrangé de la jeune Hermione ("Le dernier atout"), compromis par la séparation de ses parents et soumis à la volonté du père d'assister -ou non- à la cérémonie.
Ce qui m'a frappée (et fait enrager aussi !) chez certaines de ces héroïnes, c'est leur manque de pugnacité. Elles passent à côté de l'existence, de l'amour, -Paulina, dans la nouvelle "L'ange près de la tombe", entièrement dévouée au culte de son illustre grand-père m'a émue et agacée- par manque de volonté, de courage. Arrgh, me suis-je dit à plusieurs reprises pendant la lecture de ces nouvelles, comment peut-on laisser passer sa vie de cette façon? Mrs Lindcote s'efface, Nora ("Atrophie") qui a fait des kilomètres pour retrouver son amant mourant ne franchira pas l'obstacle que représente la soeur de l'homme qu'elle aime, terrible cerbère. La chambre n'est pourtant qu'à quelques mètres... Vous allez me trouver bizarre, mais j'ai eu envie de pousser Nora vers cette chambre, de la voir bousculer la vieille méchante et se précipiter au chevet de son chéri... C'est un des grands talents d'Edith Wharton : ses femmes sont si profondément humaines, l'empathie est si totale avec elles qu'on est à deux doigts de les supplier à voix haute de se bouger un peu !
N'allez pas pour autant croire qu'il n'y a que des molles parmi ces héroïnes. Elles sont souvent émouvantes, comme la vieille Mrs Jaspar qui a perdu la tête et réinvente les grands dîners de jadis, ("d'après Holbein") mais se révèlent aussi de redoutables manipulatrices. Je ne peux conclure ce billet sans évoquer brièvement la nouvelle "Fièvre romaine". Elle met en scène deux "amies" qui n'en sont pas vraiment et montre, magistralement, de quoi sont capables les femmes de Wharton, aveuglées par la colère et la jalousie. Cette nouvelle est une vraie claque, avec une chute implacable, sur fond d'Italie nocturne. A lire et à relire.
Elle est forte, Edith Wharton... Aucun sentiment, même le plus discret, ne lui échappe. Très forte.
Tenez, voici un petit extrait de la très belle nouvelle "Atrophie" :
Nora se leva brusquement, l'esprit en révolte. Etait-il possible que cette femme et elle se soient ainsi tenues assises, face à face, pendant une demi-heure, alignant des sornettes conventionnelles, tandis que là-haut, dans la chambre, hors d'atteinte de leurs regards, le centre et le sens de leurs deux vies, était suspendu au fil ténu du pouls intermittent du même homme?
Elle ne pouvait comprendre pourquoi elle se sentait si fragile, si déconcertée. Qu'avait donc à redouter une femme jeune, élégante et aimée d'une vieille fille insignifiante et mal fagotée? (...)
Timorée mais rendue forte par les circonstances, Miss Aldis se tenait aux aguets sur les ruines du seul amour de Nora. "Comme elle doit me haïr-et je ne m'en suis jamais doutée", songea Nora, alors qu'elle s'était imaginé avoir tout envisagé sur sa relation avec son amant. Et bien il était trop tard, maintenant, pour réparer cette omission; mais au moins elle devait se défendre, elle devait dire quelque chose pour sauver les précieuses minutes qui lui restaient et s'évader du filet étouffant de platitudes que la main tremblante de son amie tissait autour d'elle". (p. 19)
Pour ma part, je poursuis l'aventure Wharton avec plaisir. Ma PAL va donc s'enrichir de quelques romans de la dame.
Lesquels me conseilleriez-vous?
Billet programmé pour cause de vacances :-)