"La fission nucléaire, c'est nous ! Encore une fois : les deux moitiés d'une pièce"
10 décembre 1946. Otto Hahn se prépare à recevoir le Prix Nobel de chimie, à Stockholm. Edith, sa discrète épouse, l'accompagne. Quelques heures avant la remise du prix, Otto reçoit la visite de Lise Meitner à son hôtel. Otto et Lise ont travaillé ensemble pendant trente longues années, elle fut son amie et sa collaboratrice, puis la guerre les a séparés. Les retrouvailles ne seront pas tendres, car Lise semble avoir des comptes à régler...
Ce huis-clos met en scène deux personnages ayant existé et qui se seraient en effet retrouvés le jour où Otto Hahn était de passage à Stockholm pour se voir remettre son prix. Nul ne sait ce qu'ils se sont dits ce 10 décembre 1946, même si l'on peut supposer une rencontre tendue. "Désagréable" confia Otto. Cyril Gély imagine alors la confrontation entre les deux brillants scientifiques, dont l'un avait la malchance d'être femme et juive... Grande oubliée de l'Histoire, menacée, condamnée à l'exil et au silence, c'est la rage au coeur que Lise vient réclamer justice auprès de son ancien ami, à qui sont rendus tous les honneurs, notamment celle de la découverte capitale de la fission nucléaire.
Cyril Gély est un homme de théâtre et ça se sent, ça se lit... ça se vit : de la première à la dernière ligne de ce roman, le lecteur EST avec Otto et Lise et assiste, médusé, à leur entrevue... Il les VOIT s'agiter, fumer le cigare, grimacer (Otto souffre de maux d'estomac...) s'asseoir, se lever, se diriger vers la porte et revenir sur leurs pas... La tension dramatique de ces retrouvailles, qui se déroulent sur quelques heures dans une chambre d'hôtel ("un seul lieu, un seul jour, un seul fait accompli"...) est ressentie vivement d'un bout à l'autre de ce livre captivant, aux dialogues affûtés, si plein de cette énergie particulière que l'on ne trouve qu'au théâtre... et pourtant c'est bien d'un roman dont il s'agit !
On est assurément dans un drame, une tragédie déchirante où l'amitié, le respect, la reconnaissance de l'autre ont été broyés par le rouleau compresseur de l'Histoire. Et pourtant, la discussion entre Otto et Lise, ses contours tragiques et ses enjeux multiples, (condition des femmes, antisémitisme, collaboration et résistance, en particulier celle des scientifiques...) se double d'un véritable suspense, aux accents quasi vaudevillesques : Edith, la sage épouse qui attend dans une autre pièce pendant que s'affrontent les anciens collaborateurs, ne risque-t-elle pas de surgir d'un moment à l'autre, provoquant un scandale, des cris, des larmes? Quel rôle joue-t-elle précisément, cette Edith qui a renoncé à tout pour se consacrer à son époux ? Va-t-elle trouver là l'occasion de refaire surface, après tant d'années d'abnégation? Le lecteur/spectateur retient son souffle...
"Lorsque Edith a dit oui à Otto, elle avait, d'une certaine façon, dit oui à Lise. L'un n'allait pas sans l'autre. A eux trois, ils formaient un atome. Le noyau était composé d'Otto et de Lise, l'un proton, l'autre neutron. Edith était l'électron qui tournait autour- qui tournait sans jamais espérer s'en approcher un jour."
Le Prix est un texte puissant, une lecture qui m'a emportée (2h de voiture, je n'ai pas levé le nez), dont je suis sortie complètement estomaquée... un coup de foudre.
Je rêve à présent de le voir au théâtre, avec toi, ma chère Laure, qui m'a conseillé cette lecture et l'a une nouvelle fois partagée avec moi !