Né d'aucune femme- Franck Bouysse
"La seule chose qui me rattache à la vie, c'est de continuer à écrire, ou plutôt à écrier, même si je crois pas que ce mot existe il me convient."
Le père Gabriel est appelé pour bénir une femme qui vient de mourir à l'asile. A une voix mystérieuse derrière le grillage du confessionnal, il a promis de récupérer des cahiers dissimulés sous la robe de la défunte. Ces cahiers racontent l'histoire de Rose, quatorze ans, aînée de quatre filles, vendue par son père contre un peu d'argent au Maître des Forges, sans doute au XIXe siècle, l'époque est indéterminée, mais on roule en carriole. Le récit contenu dans ces cahiers, bouleversant et terrifiant, est écrit de la main de Rose. Accrochez-vous au bastingage...
Voilà un livre que je n'oublierai pas de sitôt, pour diverses raisons. Il est aussi passionnant qu'éprouvant. Je savais que Franck Bouysse était un grand écrivain, mais je n'imaginais pas qu'il puisse donner une voix aussi puissante à une jeune fille, une voix incarnée, qui plusieurs jours après ma lecture, raisonne encore...
Le récit est choral, on y entend le père, rongé de remords, Gabriel, le prêtre, Edmond, qui pourrait bien être le sauveur, mais c'est incontestablement Rose, si touchante, si courageuse, qui m'a le plus bouleversée. Les horreurs qu'elle endure semblent n'avoir aucune limite et je n'ai pas pu décrocher... jusqu'à un endroit précis du livre, où j'ai dû m'arrêter pour reprendre mon souffle.
Et je l'avoue, je me suis demandée si j'allais reprendre ma lecture après CE passage là. Je me suis interrogée sur l'intérêt au final de lire un livre aussi terrible, où les atrocités sont décrites avec autant de minutie. Beaucoup de talent, c'est sûr, mais aussi beaucoup de détails d'une cruauté qui m'a glacée. Moi qui pensais être une warrior de la lecture, j'ai donc mes limites... (un mythe s'effondre, Comète ne peut pas TOUT lire, il y a donc un coeur sous la cuirasse...)
Je ne suis pourtant pas une chochotte, j'ai lu "My absolute darling" (même pas mal, enfin presque) dans sa totalité sans me poser cette question, ou alors j'ai oublié, je n'ai retenu que la secousse que m'a procuré cette lecture. Ce n'est pas le cas ici.
Parenthèse refermée, j'ai fini par reprendre la lecture de "Né d'aucune femme" et si l'intérêt ne s'est pas émoussé, (une course-poursuite dans la forêt a fait bien mal à mon palpitant et le destin de quelques autres personnages a de quoi faire frémir...) j'ai été davantage sensible à de menus défauts, une langue presque trop parfaite pour Rose qui est sans éducation et apprend à lire quasiment toute seule et surtout une fin qui ne m'a pas convaincue : d'abord je ne l'ai pas comprise. J'ai interpellé Laure, ma partenaire de lecture, avec quelques "help je comprends pas" (merci de ta patience). J'ai relu, deux fois, trois fois les derniers chapitres car je n'aime pas cette impression d'inachevé quand la fin d'un roman est obscure ou pas satisfaisante. Je pense que la lumière s'est faite mais je suis déçue : cette fin est à la fois trop complexe et trop facile pour un livre aussi intense et un chapitre en particulier me laisse sceptique, même après plusieurs lectures. Laure, nous en reparlerons, si tu veux bien...
Je ne peux pas en dire plus sans risque de spoiler.
"Né d'aucune femme" est donc presque un coup de coeur. (Je vais peut-être ouvrir une rubrique du "presque coup de coeur", tiens...)
"C'est tout le problème des bonnes gens, ils savent pas quoi faire du malheur des autres. S'ils pouvaient en prendre un bout en douce, ils le feraient, mais ça fonctionne pas comme ça, personne peut attraper le malheur de quelqu'un, même pas un bout, juste imaginer le mal à sa propre mesure, c'est tout"
Lecture commune avec la belle et patiente Laure, une de plus :) Son billet est ici
Une participation (la 6ième) au challenge rentrée de janvier chez Joëlle