"La fille de son père"-Anne Berest
C'est une aventure que cette rencontre avec le livre d'Anne Berest. Bon, une petite aventure, mais tout de même j'aurais pu passer à côté... Ouf.
Je vous explique : je cherchais un livre avec le mot "fille" dans le titre pour le challenge de Calypso et mon choix s'est porté dans un premier temps sur un recueil de nouvelles, que j'ai détesté dès les premières lignes. C'est rare mais vraiment, je n'ai pas pu aller plus loin que deux ou trois textes. Je ne vais même pas vous en parler, ce n'est pas le sujet. Je me suis donc retrouvée fort dépourvue quand la bise fut venue, quand le livre fut perdu quelque part sur une étagère de ma bibliothèque - tant mieux-... Bref, me voilà en quête d'un nouveau bouquin pour le challenge et comme toujours Am... a bien fait les choses (enfin pas toujours, parce que je me suis royalement planté avec le premier mais passons) en mettant sur ma route "La fille de mon père" acheté en un clic désabusé...
Oh le beau bouquin, hum le bon roman, vénéneux, fiévreux, comme je les aime. Une histoire de famille pleine de secrets, de rancoeurs, de tromperies, écrite d'une sacrée plume. Je vous raconte l'histoire en quelques mots, sans entrer dans les détails car ce livre mérite vraiment d'être lu.
Irène, Charlie et la narratrice sont soeurs. La vie les a éloignées, elles n'ont plus guère en commun que leurs cheveux roux. Elles ont perdu leur mère très tôt et leur père, Albert, a retrouvé une compagne, Catherine, maladroite et timide, plutôt mal acceptée par ses filles. Un jour de querelle, Catherine prononce des paroles pour le moins bouleversantes : leur "sainte" mère n'en était pas une. Un enfant illégitime serait même née de sa relation avec un autre homme. Malgré les dénégations d'Albert, Irène, persuadée qu'elle n'est pas sa fille, se met en tête de rencontrer celui qu'elle pense être son véritable père...
Le livre ne se limite pas à mon résumé, développant une intrigue annexe concernant la narratrice elle-même. C'est un roman qui interroge sur la famille, l'amour, la paternité. Les portaits sont fouillés, sans concessions. La pauvre Catherine en prend pour son grade "impeccable maréchal de camp au casque blond cendré" qui lorsqu'elle rencontre quelqu'un pour la première fois (...) est la proie d'une émotion quasi obscène(...) se met à rougir, des taches forment des huit sur ses joues", le père n'est pas non plus épargné :" il s'est construit un monde mental détaché de toute forme d'académisme (...) son crâne est un champ peuplé d'une flore désorganisée, de jardins luxuriants et d'autres désertiques, où rien ne prendra jamais". L'intrigue tient en haleine, les personnages criants de vérité et émouvants. Catherine, la belle-mère, pourtant à l'origine du drame familial, m'a particulièrement touchée, par sa gaucherie, face à ses redoutables belles-filles. La scène du repas de Noël, absolument terrible, vaut à elle seule le détour.
Deux petites déceptions malgré tout : le flash back, décidément très à la mode, qui révèle la fin du livre dès les premières pages. Maladresse de jeune auteur? Choix délibéré d'un procédé littéraire moderne? En tout cas, c'est dommage, vraiment dommage. Et puis l'on ne sait rien de la décision de la narratrice, confrontée à un choix (non, non je ne dirai rien, lisez !), on ne la devine même pas. Au lecteur de s'accommoder des non-réponses, mais après tout, ce flou était peut-être voulu par l'auteur.
Anne Berest est un écrivain que je vais suivre.
Il semble d'ailleurs que son nouveau roman, intitulé "Les Patriarches" soit tout prêt de sortir...
"Nous sommes assises, toutes les trois, en face de notre père. Nous le regardons. Tout le temps. Son visage est aussi rouge, rouge que les pivoines écrasées du papier peint. C'est toute notre vie, de le regarder. Toute notre vie est contenue dans l'idée de le regarder. Lui. Nous sommes une branche couronne, taillée trop longue, à six yeux francs; notre sève nous brûle et nous ne savons pas pourquoi. Nous sommes ses filles, toutes les trois, et nous lui devons tout ce que sommes. Mais nous ne savons pas quoi, exactement." (p. 58)
Deux challenges pour ce livre, celui de Calypso"Un mot des titres" et celui de Sharon "Histoire de famille".
Antigone l'a lu et apprécié. Clara un peu moins. Hélène Choco donne également son avis ici.