"Sunset Park" Paul Auster
Avant toute chose, j'aimerais pousser un coup de gueule. Un mini coup de gueule, n'ayez pas peur, mais un coup de gueule quand même. Vous voulez savoir ce qui m'énerve? Les quatrièmes de couverture. Quand elles sont obscures ou pédantes, (ou les deux) et qu'elles vous détournent des livres au lieu de vous donner envie de les lire.
Lisez-moi ça :"Avec ce roman sur l'extinction des possibles dans une société aussi pathétiquement désorientée qu'elle est démissionnaire, Paul Auster rend hommage à une humanité blessée en quête de sa place dans un monde interdit de mémoire et qui a substitué la violence à l'espoir."
Je ne sais pas vous, mais moi ça m'agace. Je me sens pathétiquement énervée quand je lis des quatrième de couv' aussi pompeuses. Si le livre ne m'avait pas été offert, (merci Chouchou) et s'il ne s'agissait pas de mon vénéré Paul Auster, je n'aurais pas eu le moins du monde envie d'ouvrir ce "Sunset Park."
Peuvent pas parler simplement, chez Actes Sud?
Je ferme la parenthèse pour vous parler de Sunset Park, qui me laisse un sentiment mitigé.
J'ai adoré Paul Auster. Je garde un souvenir ébloui de mes lectures de Mr Vertigo, Léviathan, (Ahhh Benjamin Sachs...) Le Voyage d'Anna Blume, La Musique du hasard (un livre fou !). Tout chez Paul Auster me ravissait. Son écriture, son imagination fabuleuse, ses personnages tellement humains et génialement complexes, ses histoires imbriquées les unes dans les autres dans lesquelles je ne me perdais jamais. J'adorais. Et puis, quel homme, quel type fascinant...
J'aime un peu moins aujourd'hui, pas convaincue par ses romans plus récents "Seul dans le noir" et surtout "Invisible"qui ne m'a laissé bizarrement aucun souvenir.
Sunset Park, j'en ai peur, ne marquera pas davantage ma vie de lectrice. Ce n'est pas un mauvais livre, ne vous méprenez pas, mais je ne retrouve défintivement plus le Paul Auster que j'aimais. Et je suis nostagique. (pathétiquement nostalgique...)
L'histoire : une bande de squatteurs désenchantés a investi une maison minable dans un quartier de Brooklyn. Parmi eux, Miles Heller, fils d'un éditeur qui essaye de sauver sa maison d'édition de la crise financière et d'une actrice, cherche à fuir un passé douloureux. Il aime passionnément Pilar, une jeune cubaine, et si la passion est partagée, elle est néanmoins contrariée, car Pilar est mineure. Dans cette maison, vivent également le meilleur ami de Miles, Bing Nathan, et deux jeunes femmes, Alice et Ellen, l'une thésarde et l'autre artiste, tous trois en mal d'amour. Chaque chapitre porte le nom d'un des personnages et nous invite à le découvrir en profondeur. Paul Auster en matière de psychologie, n'a pas perdu la main. Des personnalités fouillées, complexes, des relations ambiguës entre les uns et les autres... tout cela est vraiment intéressant. J'ai eu plaisir à suivre pendant quelques jours leurs tourments intérieurs, leurs questionnements. J'ai moins aimé les digressions politiques et cinématographiques un peu ennuyeuses qui ralentissent le rythme d'un récit déjà fort languissant. On sent l'auteur indigné par toutes les injustices de notre société actuelle et il lui importe de faire passer cette indignation. Toutefois, j'ai entre les mains un roman, et je n'ai pas apprécié de voir le fil de l'histoire interrompue à quelques reprises...
Dans ce roman mélancolique, tout en tensions intérieures, j'ai relevé quelques moments forts. Les premières pages qui décrivent les maisons abandonnées après la crise des subprimes sont saisissantes :
"Au début, il était stupéfait par le désordre et la crasse, l'état d'abandon. Rares sont les fois où il pénètre dans une maison que ses anciens propriétaires ont laissée impeccable. Le plus souvent, une éruption de violence ou de rage, un déchaînement de vandalisme irraisonné se sera produit au moment du départ: depuis les robinets ouverts au-dessus des lavabos et les baignoires qui débordent jusqu'aux murs défoncés à coups de masse, couverts de graffitis obscènes ou criblés d'impacts de balles, sans parler des tuyaux en cuir arrachés, de moquettes tachées d'eau de javel et des tas de merde déposés sur le plancher du séjour. Il est possible qu'il s'agisse là de cas extrêmes, d'actes impulsifs déclenchés par la rage d'être dépossédé, de messages de désespoir répugnants mais compréhensibles; et s'il n'est pas toujours saisi par le dégoût quand il entre dans une maison, jamais cependant il n'ouvre une porte sans un sentiment de crainte. Inévitablement, la première chose contre laquelle il doit lutter, c'est l'odeur, la violence de l'air fétide qui assaille ses narines, les relents omniprésents où se mêlent moisi, lait aigre, litière de chat, cuvettes de w.c maculées d'ordure et nourriture en train de pourrir sur le plan de travail de la cuisine (...) même (...) la plus grande attention n'arrive pas à effacer la puanteur de la défaite."
D'autres avis, bien plus enthousiastes, ici et là. Kathel en parle aussi.