"Poupées crevées" Martin Amis
Martin Amis, ça fait longtemps que je lui tourne autour sans oser l'aborder. Et puis voilà le challenge d'Antoni, "God save the livre", et un livre piqué sur l'étagère de ma copine Nath avec une mise en garde : "Martin Amis, c'est trash ". Sans doute, mais moi je n'ai peur de rien quand il s'agit de livres. Pour le reste, c'est une autre histoire - j'ai peur de la neige par exemple, parce qu'on peut glisser dessus et se faire mal, mais là n'est pas le sujet- Aujourd'hui, on parle de ma bravoure en matière de bouquins et de mon envie de découvrir Martin Amis.
C'est chose faite avec "Poupées crevées". Et maintenant que je connais, je peux dire que je n'ai pas aimé, mais alors pas du tout. Et que Nath a raison : "Martin Amis c'est trash". Je m'applaudis d'être arrivée jusqu'au bout. Le challenge y est pour beaucoup, il faut le dire.
Dix copains (je me suis demandé pendant tout ce looooong livre quelle était la définition du mot copain pour Martin Amis, pas la même que la mienne sans doute, puisque je ne martyrise pas mes copains, je les aime au contraire, lui préfère leur donner des claques et des coups de poings) dont un nain obèse, souffre-douleur de la bande de surcroît, se retrouvent le temps d'un week-end pour copuler sauvagement et essayer toutes sortes de drogues. (Sur le nain d'abord, qui en plus d'être obèse et souffre-douleur sert de cobaye plus ou moins consentant). Ces dix personnes, donc, cherchent le plaisir. Ils sont anglais ou américains, ils sont beaux ou moches, ils sont en tout cas détestables. Tous. J'ai cherché longtemps à éprouver un chouia de sympathie pour au moins l'un d'entre eux: celui-là est immonde parce que... celle-là est grotesque parce que... eh bien non. Ça ne marche pas. Même le nain obèse et bouc émissaire, on rêve de lui donner des gifles. Ce dont on se prive pas. Enfin, pas moi, mais la bande. Le nain s'en prend plein la figure pendant presque quatre-cents pages et il en redemande. Ça m'a exaspérée.
Et le suspense dans tout ça? Parce que la quatrième de couverture parle d'un « mystérieux Johnny, vengeur invisible qui va donner un autre visage à ces poupées crevées. » Ah bon? Alors ça va décoller, il va se passer des trucs terribles, il faut tenir bon (et puis le challenge, le challenge...) Mais même avec le Johnny... je dis bof, juste bof, pour ne pas spoiler, si jamais l'envie bizarre vous prenait de découvrir ce bouquin, lecteurs intrépides que vous êtes.
Une chose me frappe quand même: Il s'amuse bien, le Martin, c'est évident. Ses personnages sont des marionnettes pour lesquelles il affiche un mépris certain. Le but n'est pas d'en faire des créatures que le lecteur pourrait aimer, on l'a bien compris. Il s'adresse à eux en leur rappelant qu'ils ne sont là que pour servir" les objectifs de cette fiction". " Les choses vont devenir bien pires pour toi dans quelques temps" prévient-il. "Il faut te résigner". ça le fait jubiler. J'ai trouvé ça énervant au possible.
Certains livres, comme celui-là, existent surtout pour que l'auteur soit content de lui. En nous balançant toutes ces horreurs (en plus du nain, il y a des voisins, un chat et des oiseaux qui se font massacrer... vous avez encore envie là?), Martin Amis aurait voulu « démontrer l'anéantissement d'une communauté qui se voudrait sadienne et qui n'est que dérisoire ». ça, c'est la quatrième de couverture. Pour ma part, j'y ai vu surtout une complaisance insupportable et une volonté de provoquer le lecteur qui finit par être soûlante. Ok, tu as gagné, je suis provoquée. Oui, la vie est moche, le monde est laid, infect, on est tous des poupées crevées, tout ça tout ça... tu peux t'arrêter maintenant. Non. Tu continues?
Quatre-cents pages je vous dis.
Enfin, est-ce qu'après cette expérience douloureuse, j'ai envie de retenter Martin Amis? Vous allez vous dire « elle nous prend pour des idiots, évidemment non, cet auteur est mort pour elle. » Pas si sûr.
Non, je ne suis pas folle.
Le livre est insupportable mais l'écriture... l'écriture... est géniale. Mon Dieu, ce gars-là sait écrire ! Avec une plume trempée dans le vitriol. Mais quand même. Les portraits qu'il dresse de ses personnages sont formidables. Celui du nain, au début, m'a presque fait tomber de ma chaise:
« Whitehead est un jeune homme presque ridicule à force d'être repoussant; par exemple, c'est quasiment un nain. Chaque fois que quelqu'un essaye de dire quelque chose d'aimable sur son physique, cela finit généralement par une phrase du genre : « tu as une très jolie couleur » allusion à ses sourcils sombres et à ses yeux jaunes et fins. A part ça, il ne restait rien qui fût digne de compliment dans sa peu ragoûtante personne, ni la touffe de paille clairsemée surmontant un masque d'acné, écrasé et acariâtre, ni le petit torse austère et renflé, au membres répugnants, comme tronqués, ni la texture inerte, cadavérique de l'ensemble. »
Et la famille Whitehead... ça donne ça :
« Avec leur cinq cent soixante-dix kilos à eux quatre, plus qu'un pack moyen de rugby, les Whitehead forment une tribu démentiellement surglandulaire, leur maison est un monde boursouflé de dessin animé, rempli de canapés avachis, de lits en forme de hamacs et de fauteuils défoncés. (…)Whitehead senior, par exemple, est un être fabuleusement obèse, qui dépasse les deux cent vingt kilos. Lorsqu'il descend la rue de sa démarche chaloupée, les écoliers qui le croisent sont fascinés par la myriade de bourrelets qui se promènent sur son corps; les plates-formes d'autobus casseraient net s'il décidait d'y grimper; les ascenseurs gémissent, tremblent et se figent(...) les chaises volent en éclats sous lui, les tables font un saut périlleux dès que son coude les effleure; les solives craquent, les planchers tombent en poussière. »
Sans mauvais jeu de mots, je trouve ça énorme, ce qui m'amène à la conclusion suivante :
On peut être à la fois sublime et dégueulasse. Rien n'est tout noir ou tout blanc.
J'ai détesté Martin Amis mais je le relirai sûrement un jour. Dans longtemps.